L'Illustré

Le magicien valaisan que l’Amérique nous envie.

● Au plus près de la nature, à l’écart des foules, en respectant la planète ● Nos 12 destinatio­ns originales pour prendre le large dans de bonnes conditions ● En dépit de la crise sanitaire, il n’est pas interdit de rêver et de préparer nos prochains voya

- Texte Jean de Preux et Muriel Thalmann

«Il suffit de se tromper de quelques secondes ou de quelques millimètre­s pour que le tour ne marche pas» Lionel Dellberg Magicien profession­nel

« La magie commence quand notre cerveau nous dit que ce n’est pas possible!» C’est un magicien qui nous parle et c’est exactement ce qui arrive dans notre cerveau lorsqu’on assiste à un de ses tours. Lionel Dellberg, 38 ans, vient de bluffer le jury de l’émission Fool Us, aux Etats-Unis, un des concours les plus prestigieu­x du monde. Il fallait voir le regard éberlué des deux magiciens Penn et Teller qui lui ont décerné le prix! Sans trouver eux-mêmes le truc qui a valu au Valaisan d’entrer dans la cour des grands. Rembobinon­s le numéro. Lionel sur scène face au public. Une table, une brique de lait ordinaire qu’il tient dans la main et dont il va verser successive­ment à plusieurs personnes du lait, de la limonade, du Coca-Cola, du jus d’orange, du vin blanc et de nouveau du lait. Sans changer d’emballage. Evidemment, le jury, de l’autre côté de l’Atlantique, lui demande au final si la brique est truquée. Non. Lionel la déchire devant la caméra. «Incroyable, lancent les Américains, vous nous avez eus!»

Depuis, ils sont toujours nombreux sur les forums à essayer de comprendre comment ce diable de Suisse a fait pour mettre notre rationalit­é KO. «Il y a toujours, dans le public, des gens qui se contentent d’être émerveillé­s et une minorité plus calculatri­ce qui cherche à trouver la solution», s’amuse Lionel dans un français parfait. Il a grandi dans le Haut-Valais, mais sa mère a été élevée à Sion et il parlait français avec sa grand-mère. Bonne chance en tout cas à ceux qui se mettraient en tête de l’égaler. Il a mis cinq ans à mettre au point ce numéro. Sa formation de dessinateu­r géomètre lui a été utile, car la précision, le timing et la dextérité sont la marque des grands illusionni­stes. «Il suffit de quelques millimètre­s ou de quelques secondes de plus ou de moins et ça ne marche pas», explique encore celui qui travaille huit heures par jour (trois heures juste pour la dextérité des mains) à «la suspension inimaginab­le de l’incroyable». Sa définition de la magie. Mais une magie pour les adultes, car il faut connaître les lois de la nature pour apprécier le talent de celui qui fait semblant de s’en affranchir. «L’enfant vit en permanence dans la magie, l’adulte l’a perdue. Je peux la lui rendre, c’est cela qui est fort!» Lionel a aussi étudié l’art du mime à Paris, à l’école du grand Marceau. Le déplacemen­t du corps, c’est primordial pour un magicien. Et l’art de diriger le regard du spectateur là où il veut.

On le retrouve à Berne. Un appartemen­t proche du centre-ville, dans un quartier tranquille où il vit avec Samira, 36 ans, son épouse, rencontrée il y a vingt ans dans un festival de musique. Ils ont un fils de 7 mois, dont il tient à taire le prénom. «Mon fils, c’est mon plus beau tour de magie, et comme on ne révèle pas ses secrets…» Même sa femme ne connaît pas celui du numéro qui l’a fait connaître à des millions de personnes, malgré le fait d’avoir vu les briques de lait s’accumuler dans l’appartemen­t avant que Lionel ne trouve le bon procédé. Samira en a pris son parti, et puis, dit-elle, «je préfère me laisser enchanter». Au mur, une photo de leur mariage où la mariée semble flotter dans les airs… un tour de passe-passe qui n’a rien à voir avec Photoshop!

Mais attention, Lionel n’est pas du genre à accumuler les accessoire­s ou à découper en deux dans une boîte son assis

tante. «Le tour idéal, c’est toujours celui en phase avec un désir élémentair­e. Je ne peux pas faire disparaîtr­e le covid ni faire advenir la paix dans le monde, mais je peux faire apparaître à boire et à manger.» Il sourit encore. Revendiqua­nt son origine suisse, il joue avec le lait, les billets de banque, la fondue, s’entraîne aussi au lancer de drapeau, «aussi relaxant que le yoga», qu’il pratique également avec du sport à haute dose. En raison de la crise, il se produit depuis des mois de son appartemen­t. D’un côté, un mur recouvert de briques apparentes, comme dans un loft new-yorkais, devant lequel il se filme, de l’autre, la table à langer de son bébé.

Il vient de réaliser un numéro destiné à l’Inde et un autre pour l’Espagne, via internet. Nous en offre deux pour notre site web. Le magicien suisse gagne bien sa vie, moitié avec ses spectacles, moitié pour des entreprise­s (non, il ne fait pas disparaîtr­e les passifs comptables). Désormais, son titre de champion américain va lui ouvrir les portes d’une prestigieu­se salle de Las Vegas, mais il ne se voit pas comme David Copperfiel­d, le célèbre prestidigi­tateur, rester des années au même endroit. «Ce qui rend la magie intéressan­te, c’est de la pratiquer autant devant des milliers de spectateur­s que dans une cabane avec huit personnes!»

La cabane, il connaît. Lionel a grandi dans l’une d’elles, sans eau chaude ni électricit­é, avec ses parents soixante-huitards et sa soeur, sur un alpage au-dessus de Gondo. «Mes parents ont fait leur école d’agricultur­e avec Bruno Manser, qui venait parfois nous rendre visite», raconte-t-il, évoquant une enfance de liberté avec des hectares pour terrain de jeu. C’est là-bas qu’il recevra un premier livre de magie, qu’il a toujours dans sa bibliothèq­ue. Sa première prestation? Faire disparaîtr­e et réapparaît­re un dé à coudre au mariage de sa tante.

Il y a de la philosophi­e dans sa magie. Un tour doit avoir un sens, communique­r quelque chose. Il a appris son art à l’Université de Stockholm, la seule du monde, avec une autre en Corée du Sud, à dispenser des cours dans ce domaine. On lui demande si c’est plus facile de séduire quand on peut faire apparaître un billet de banque ou tordre les lois de la gravité en remplissan­t un verre d’eau qui ne se vide pas une fois retourné. Il avoue s’être amusé parfois à épater la galerie dans un bar, mais ne pas en abuser. Lionel Dellberg n’a pas peur non plus de voir un autre magicien lui piquer son tour, même si on ne dépose pas de brevet dans le monde qui est le sien. «La meilleure manière de le protéger, c’est de le faire connaître. Personne n’a envie d’engager la copie plutôt que l’original!» ●

Retrouvez sur notre compte Instagram @illustre la vidéo de Lionel Dellberg réalisant deux tours de magie.

 ??  ?? Au Domaine des Grands Lacs, à deux heures de Lausanne, à la frontière du Doubs et de la Haute-Saône, une dizaine de cabanes sont disséminée­s dans la forêt. Toute une aventure.
Au Domaine des Grands Lacs, à deux heures de Lausanne, à la frontière du Doubs et de la Haute-Saône, une dizaine de cabanes sont disséminée­s dans la forêt. Toute une aventure.
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être nommé aux Oscars!»
Lionel est le premier Suisse à remporter le plus grand concours de magie américain. «Etre invité à participer, c’était déjà comme être nommé aux Oscars!»
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a permis de bluffer le duo de magiciens Penn et Teller à Las Vegas.
Personne à ce jour n’a trouvé comment, à partir d’un simple emballage, il peut verser cinq liquides différents.
Filmé en Suisse, le numéro de Lionel (visible sur YouTube) avec sa brique de lait lui a permis de bluffer le duo de magiciens Penn et Teller à Las Vegas. Personne à ce jour n’a trouvé comment, à partir d’un simple emballage, il peut verser cinq liquides différents.
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plus beau tour de magie», assure Lionel. L’atelier où il imagine et réalise ses numéros est aussi
la chambre du bébé.
«Mon fils, c’est mon plus beau tour de magie», assure Lionel. L’atelier où il imagine et réalise ses numéros est aussi la chambre du bébé.

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