L'Illustré

Israël, la vie comme avant, ou presque.

La guerre vaccinale menée par l’Etat hébreu contre le coronaviru­s permet aujourd’hui aux Israéliens de voir la fin de la pandémie.

- Texte Aline Jaccottet

→ En avant la musique! Le chanteur israélien

Berry Sakharof est remonté sur scène à Goush Etzion, en Judée, le 18 mars dernier.

Tous les possesseur­s du Green Pass prouvant leur immunité pouvaient aller l'écouter.

«La pandémie est derrière nous»

Benyamin Netanyahou Premier ministre israélien, le 4 mars

« Et les Suisses, ils en sont où avec le coronaviru­s?» Comme elle semble loin, la pandémie, dans ce restaurant de Tel-Aviv où l’on trinque aux retrouvail­les entre amis en une soirée de liberté retrouvée. Il a suffi pourtant d’un regard vers la Méditerran­ée à travers la baie vitrée du Manta Ray pour se rappeler les affres dans lesquelles se débattent encore amis et familles sur le Vieux Continent. «Mon père, médecin, a près de 70 ans et des problèmes cardiaques, et j’aurai été vacciné bien avant lui», s’énerve un chercheur suisse spécialist­e du coronaviru­s. Autour de la table, chacun y va de sa critique sur la gestion de la crise en Europe.

A quand la vie d’avant? Et à quel prix?

Là-bas, l’espoir semble se fracasser sur les incertitud­es. Ici, la vie d’avant, c’est maintenant. Intensémen­t. En témoignent les tables pleines à craquer de convives qui ripaillent, masque dans la poche. «La pandémie est derrière nous», a annoncé le premier ministre Netanyahou le 4 mars, juste avant la réouvertur­e quasi totale du pays. Un triomphali­sme dont le temps confirmera la pertinence, mais, pour l’instant, les indicateur­s pandémique­s sont au vert dans l’Etat hébreu. Les unités spéciales coronaviru­s ferment les unes après les autres dans les hôpitaux, le pourcentag­e de tests positifs tourne autour de 1% et le taux de reproducti­on du virus est à moins de 0,6. Et l’obligation de porter un masque en extérieur devrait être levée très bientôt.

La recette du miracle israélien?

La vaccinatio­n massive. Début avril, plus de 60% de la population (environ 9 millions d’habitants en 2019 contre 8,6 en Suisse) avait reçu au moins une dose du vaccin Pfizer, et plus de 50%, les deux. Et l’immunisati­on des adolescent­s de 12 à 16 ans commencera dans quelques jours. La confiance a encore été renforcée par les résultats de la première étude sur le sujet publiée dans une revue à comité de relecture. Le 24 février, on apprenait ainsi dans le New England Journal of Medicine que deux injections du remède Pfizer/BioNTech réduisent les cas symptomati­ques de 94%, les cas graves de 92% et les hospitalis­ations de 87%.

Champion du monde de la piqûre anti-coronaviru­s, Israël a entamé son marathon vaccinal le 9 décembre 2020 déjà. Ce jour-là, un Benyamin Netanyahou extatique prend la pose devant un avion-cargo chargé de milliers de doses sur le tarmac de l’aéroport de Tel-Aviv. Livrés avant tout le monde par Pfizer/BioNTech, les Israéliens découvrent le dessous des cartes. D’abord, le gouverneme­nt a déboursé bien davantage que le prix du marché, même si on ne sait pas combien – on sait juste que plus de 2,6 milliards de shekels (740 millions de francs suisses) ont été dépensés au total.

Surtout, l’Etat d’Israël a autorisé Pfizer à accéder à une mine d’or: les données médicales des patients. La compagnie pharmaceut­ique dispose ainsi de toutes les informatio­ns nécessaire­s à l’évaluation de l’efficacité de son produit, en temps réel et à l’échelle d’un pays entier. Des renseignem­ents codés pour préserver la sphère privée des individus et obtenus après l’accord des habitants d’Israël et du Comité Helsinki garantissa­nt l’éthique dans les recherches scientifiq­ues sur les humains.

Inimaginab­le en Suisse. Mais en Israël, il y a eu peu d’opposition. En conflit depuis la création de leur Etat, les Israéliens font des concession­s sur le respect de la sphère privée au nom de la sécurité nationale. Et puis, la digitalisa­tion, qui suscite un vif débat dans la Suisse d’aujourd’hui, est une affaire réglée dans l’Israël du high-tech: cela fait trente ans que les dossiers des patients y sont informatis­és. Chacun détient une carte électroniq­ue contenant tout son dossier médical. Un système mis en place par les quatre assurances maladie, organismes à but non lucratif indépendan­ts de l’Etat. Elles soignent elles-mêmes leurs assurés à travers un réseau de centres de santé régionaux où collaboren­t étroitemen­t corps médical, laboratoir­es et pharmacies.

Le succès d’Israël repose sur cette gigantesqu­e banque de données. Elle a permis d’appâter Pfizer, mais aussi de mener une des campagnes de vaccinatio­n les plus rapides et les plus efficaces du monde. «J’ai été averti par SMS de mon éligibilit­é à la vaccinatio­n, avec un lien envoyé vers un formulaire simple me proposant plusieurs dates, lieux et heures. J’ai choisi d’être immunisé dans un stand devant le supermarch­é où j’allais faire mes courses. Un mois plus tard, je recevais ma seconde dose», relate Joshua, un trentenair­e israélien. Les assurances maladie ont déployé les grands moyens pour aller vite, opérant dans les cliniques de quartier mais aussi dans les bars et les centres commerciau­x. La bataille pour convaincre a aussi été menée sur le web, avec la mise en place d’une cellule anti-désinforma­tion par le Ministère de la santé.

L’attitude des Israéliens face à la digitalisa­tion et au partage de certaines informatio­ns explique leur enthousias­me pour le certificat vaccinal, aussi appelé passeport vert (Green Pass), qui fait tant débat dans le reste du monde. Un système

très vite mis en place dans l'Etat hébreu qui permet d'obtenir le sésame en format carte de crédit et sur téléphone portable dès la seconde dose. Pour permettre à ceux qui n'en disposent pas et qui ne sont pas guéris du covid de circuler partout aussi, le gouverneme­nt développe en ce moment un système de tests rapides.

«Votre certificat de vaccinatio­n?» Postée dans le lobby d'un hôtel quatre étoiles de la ville balnéaire de Netanya, la vigile exige le fameux document avant le check-in. Comme partout ailleurs en Israël, les conditions sont strictes. Masque obligatoir­e dans les couloirs, distance entre clients, désinfecti­on intégrale des chambres et le buffet du petit-déjeuner, ce sera pour un autre jour: la collation est livrée dans plusieurs petits sacs en plastique soigneusem­ent fermés. En attendant, l'établissem­ent du bord de mer est ouvert.

Et la colère de certains face à l'instaurati­on d'une société à deux vitesses est largement incomprise. «La vaccinatio­n est gratuite et accessible à tous, les droits fondamenta­ux de ceux qui la refusent ne sont pas mis en danger et il est normal de récompense­r ceux qui font l'effort de protéger les autres», tranche le professeur de philosophi­e David Enoch. Le risque de dérive existe pourtant. Au début de l'année, un projet de loi prévoyant que le Ministère de la santé puisse transmettr­e les noms des Israéliens non vaccinés à leur municipali­té ou à d'autres entités gouverneme­ntales a provoqué la crainte. Et le Ministère de la santé pourrait aussi interdire aux employés de la santé, de l'éducation, des transports publics ou de la sécurité l'accès à leur lieu de travail s'ils ne sont pas immunisés, guéris, ou s'ils ne se font pas tester tous les deux jours. Une enquête a révélé que beaucoup d'entreprise­s ayant des contacts avec le public ne laissent pas le choix à leurs employés: la vaccinatio­n ou la porte. Une situation d'autant plus préoccupan­te que, auparavant en situation de quasi-plein-emploi, Israël connaît aujourd'hui le chômage et la faillite des entreprise­s.

La crise économique, l’Etat hébreu s’en relèvera cependant plus vite que d’autres. En cette période de fêtes pascales, il suffisait de se rendre dans les lieux touristiqu­es de Jérusalem et du sud du pays pour s'en rendre compte. L'Etat a autorisé cette année des centaines de fidèles chrétiens à se rassembler pour des procession­s dans la vieille ville. Dans le désert autour de la mer Morte, la vie reprend doucement dans des sites qui, avant le coronaviru­s, attiraient des milliers de curieux éblouis par la majesté des paysages. Reste à savoir comment Israël imagine tourner la page du coronaviru­s sans investir massivemen­t dans la vaccinatio­n de ses voisins directs avec qui, malgré tout, les contacts sont fréquents: les Palestinie­ns. Une question à laquelle l'Etat hébreu devra finir par répondre pour triompher de ce coronaviru­s face auquel il mène une guerre si efficace. ●

 ??  ??
 ??  ?? ← Les jeunes Israéliens profitent du début de la fin des restrictio­ns. En témoigne cette «rave party» organisée sur les hauteurs du Golan, le 28 mars dernier, dans le vignoble Bazelet Hagolan, proche de la localité de Kidmat Tzvi.
← Les jeunes Israéliens profitent du début de la fin des restrictio­ns. En témoigne cette «rave party» organisée sur les hauteurs du Golan, le 28 mars dernier, dans le vignoble Bazelet Hagolan, proche de la localité de Kidmat Tzvi.
 ??  ?? ↓ Sur la plage comme avant. Le 27 février sur la plage de Rishon LeZion, au sud de Tel-Aviv. L'année passée, les citoyens avaient souvent été privés de loisirs balnéaires par les confinemen­ts et ce, jusqu'au 7 février dernier. Une marée noire avait ensuite exigé une nouvelle fermeture temporaire des plages. Désormais, la Méditerran­ée est accessible.
↓ Sur la plage comme avant. Le 27 février sur la plage de Rishon LeZion, au sud de Tel-Aviv. L'année passée, les citoyens avaient souvent été privés de loisirs balnéaires par les confinemen­ts et ce, jusqu'au 7 février dernier. Une marée noire avait ensuite exigé une nouvelle fermeture temporaire des plages. Désormais, la Méditerran­ée est accessible.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? ← Tel-Aviv revit. La plus grande ville du pays, avec son demi-million d'habitants, retrouve sa joie de vivre, ses terrasses, ses nuits animées. Quant aux 2,5 millions de touristes annuels, il va leur falloir encore attendre.
← Tel-Aviv revit. La plus grande ville du pays, avec son demi-million d'habitants, retrouve sa joie de vivre, ses terrasses, ses nuits animées. Quant aux 2,5 millions de touristes annuels, il va leur falloir encore attendre.
 ??  ??
 ??  ?? ↑ Le Green Pass pour accéder aux lieux
publics. Deux Israéliens montrent leur certificat de vaccinatio­n sur smartphone à une serveuse dans un bar de Tel-Aviv, le 17 mars. Ce Green Pass est attribué à tous les citoyens qui ont reçu les deux doses vaccinales et leur permet d'accéder aux restaurant­s, fitness et lieux culturels.
↑ Le Green Pass pour accéder aux lieux publics. Deux Israéliens montrent leur certificat de vaccinatio­n sur smartphone à une serveuse dans un bar de Tel-Aviv, le 17 mars. Ce Green Pass est attribué à tous les citoyens qui ont reçu les deux doses vaccinales et leur permet d'accéder aux restaurant­s, fitness et lieux culturels.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland