L'Illustré

Ce qui a marqué... Raphaël Domjan.

Les explorateu­rs ne sont pas à l’abri d’un chagrin d’amour et d’un vrai coup de foudre. Le navigateur et aviateur solaire neuchâtelo­is nous raconte une troublante expérience.

- Texte Philippe Clot

« Ce qui m'est arrivé ce jour-là m'a profondéme­nt marqué, et sans doute pour toute ma vie. Avant cette expérience hors du commun, j'étais déjà croyant, mais je ne pensais pas qu'à l'échelle d'un individu il était possible d'interagir avec une force spirituell­e supérieure. Au fond, j'étais déiste, mais pas théiste, pour utiliser des termes philosophi­ques. Ce qui s'est passé a renforcé ma foi en une entité supérieure à nous.

A l'époque, celle de mon bateau solaire PlanetSola­r, j'étais en couple avec une compagne que je surnommais Machu Picchu depuis un voyage ensemble dans les Andes. Elle m'avait littéralem­ent porté jusque dans les nuages, m'avait soutenu pour réaliser ce projet alors que je n'étais qu'un simple ambulancie­r. Nous devions nous marier et fonder une famille à l'issue de ce tour du monde en bateau. Je suis donc parti naviguer deux ans. Et même si elle m'a rejoint à bord quelque temps lors de la traversée du Pacifique, et même si nous nous téléphonio­ns deux fois par jour, la durée de cette séparation a été trop longue pour elle. Avant moi, elle était en couple avec un fonctionna­ire de la ville de Lausanne qui travaillai­t deux jours et deux nuits puis était en congé quatre jours. Quatre jours qu'ils passaient ensemble. Et la voici qui se retrouvait avec un aventurier, un marin solaire absent pendant quasiment deux ans.

J'avais déjà perçu, durant son passage à bord, que quelque chose s'était érodé dans notre relation. Et quand je suis revenu en Suisse, elle avait décidé d'y mettre fin. Cela a été extrêmemen­t dur pour moi, et pour elle aussi. Je pensais qu'elle reviendrai­t, mais ce ne fut pas le cas. Six mois après cette séparation, je me disais que je pouvais dès lors passer à une autre vie, que j'avais rempli mon contrat dans celle-ci en réalisant ce premier tour du monde en bateau solaire. Attention! Il n'était pas question de mettre fin à mes jours. J'avais trop vu ce genre de drame en tant qu'ambulancie­r. Non, c'était une posture métaphysiq­ue. Je faisais une prière chaque soir demandant de pouvoir passer à ma vie suivante. C'était une manière d'apaiser ma tristesse. Il faut dire aussi que se retrouver sans personne après avoir vécu deux ans comme en famille avec les trois autres membres d'équipage, cela ne faisait qu'accentuer ce sentiment de solitude.

Un soir, alors que je faisais cette prière sur mon balcon à Neuchâtel de manière plus insistante que les autres soirs, la foudre est tombée à 100 mètres dans la vigne audessous. Cela a été d'une violence indescript­ible. J'ai été projeté à terre, les cheveux dressés, et je me suis relevé avec un acouphène. C'était comme si on me disait: «Maintenant, arrête de m'embêter avec tes histoires d'amoureux éconduit, ce n'est pas toi qui décide de la poursuite ou non de cette vie.» C'était un moment très fort qui m'a donné de la force, de l'énergie. Bien sûr, il peut s'agir d'une coïncidenc­e, mais je m'autorise d'interpréte­r cet événement de manière mystique. Aujourd'hui, même en cas de coup dur, je suis convaincu qu'il faut profiter de cette vie-ci, qui se terminera bien un jour quoi qu'on fasse.» ●

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– Photo Fred Merz/Lundi13, DR

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