L'Illustré

L’hommage de Jean-François Balmer.

Formé, comme lui, sur les planches, Jean-François Balmer a tourné deux films avec Bébel, et pas des moindres: «Peur sur la ville» (1975) et «Flic ou voyou» (1979). L’acteur originaire de Valangin (NE) se souvient.

- Texte Blaise Calame

En apprenant le décès de Jean-Paul Belmondo, Jean-François Balmer (75 ans) s’est empressé d’écourter ses vacances à Tinos, une île en mer Egée, pour rentrer à Paris assister aux obsèques, à l’invitation de la famille. Leur affection était réciproque. «Belmondo serait venu à mon enterremen­t, assure l’acteur d’origine neuchâtelo­ise, pourtant, je n’étais pas un intime. Je connais mieux son frère Alain, directeur de production.» L’attachant commandant Rovère de la série Boulevard du Palais n’a pas oublié sa dernière rencontre avec la star. «Il a posé ses cannes et m’a dit: «Ça me fait tellement plaisir de te revoir.» Je l’ai cru. Il avait cette force de conviction en lui.»

Jean-François Balmer est sans doute le seul acteur suisse, aujourd’hui naturalisé Français, à avoir joué avec «le Magnifique», qu’il respectait profondéme­nt. «J’ai beaucoup aimé l’acteur. Belmondo était une vedette inimaginab­le et je considère en plus, comme un vieux réac que je suis parfois, qu’il était de l’ultime génération d’acteurs. Aujourd’hui, il ne reste que des «animacteur­s» médiatique­s.»

Avec une carrière riche d’une septantain­e de films, de quelque 50 téléfilms et de près de 30 pièces de théâtre derrière lui, Balmer juge sévèrement l’«évolution» du métier: «Quand Luchini est invité à la télévision, il fait son numéro, toujours le même! Belmondo, lui, ne faisait pas du Bébel dans les médias. Il était sincère.»

Pour le gamin de Valangin (NE) parti tenter sa chance à Paris à l’aube des années 1970, JeanPaul Belmondo était un grand. De cette trempe, il ne reste guère, selon lui, qu’Alain Delon, JeanLouis Trintignan­t et Catherine Deneuve.

Quand Jean-François Balmer apparaît en 1973 dans son premier film, R.A.S., charge violente d’Yves Boisset contre la guerre d’Algérie, Belmondo est déjà une immense star. Il a incarné la Nouvelle Vague, tourné avec Godard, Chabrol, Sautet, De Sica, Melville, Becker, Truffaut, etc. Sa filmograph­ie parle pour lui. «Au Conservato­ire, Belmondo était notre idole. Il était extrêmemen­t populaire! Pour moi, il a changé de dimension avec L’homme de Rio (sorti en 1964, ndlr). Il ne serait venu à l’idée de personne de lui proposer ensuite le rôle de Léon Morin, prêtre…» Il rit.

Les films de Belmondo, comme on disait, Balmer les a tous vus. Ses préférés? «Un singe en hiver, Le doulos, Le voleur. Le doulos n’est jamais diffusé à la télévision. Pourquoi? Parce qu’il est en noir et blanc. Les téléspecta­teurs gueulent… C’est désespéran­t.»

Sur la fiche Wikipédia de Balmer, on lit que c’est en clin d’oeil à certains acteurs aux prénoms composés, comme Jean-Paul Belmondo justement, que le Neuchâtelo­is, né François Balmer, a choisi de devenir Jean-François. Il dément: «C’est une connerie. Je ne lis pas ce qu’on écrit sur moi sur internet. Aujourd’hui, il faut s’occuper de tout ou de rien, mais si, comme moi, vous ne vous occupez de rien, d’autres le font à votre place…»

A l’écran, Balmer commence par rencontrer Belmondo en 1974 sur le tournage de Peur sur la ville, thriller haletant signé Henri Verneuil. Il a 28 ans et incarne Julien Dallas, un étudiant gauchiste serré par les flics. Sa courte scène avec la star du film, inoubliabl­e, se résume à un interrogat­oire musclé. «Je ne faisais pas mon malin, se souvient-il, surtout que Belmondo venait du Conservato­ire, du théâtre. Cela m’inspirait le respect.»

On imagine sans peine son appréhensi­on. Elle va pourtant très vite se dissiper. «Belmondo ne s’est pas imposé. Il s’est montré très modeste. Rigolard, bien sûr, mais d’une telle gentilless­e! Il m’a accueilli, m’a mis à l’aise. Il savait que j’étais au Conservato­ire. Il m’a demandé dans quelle classe j’étais, avec qui j’avais tourné jusque-là. Cela m’a complèteme­nt rassuré. Du coup, j’ai joué cette première scène avec lui goulûment. Il devait sentir ce qu’on pensait de lui et s’est ingénié à trouver un équilibre, gommant ainsi mes craintes. Les grands acteurs font cet effort et cela vous porte. Belmondo était passionné par le métier.» Après lui avoir lancé un mémorable «T’as de beaux yeux, tu sais?», le commissair­e Letellier/Belmondo le gifle implacable­ment. La glace est rompue.

Impossible d’évoquer Peur sur la ville sans dire un mot des cascades de l’artiste, notamment celle, mythique, où il avance sur le toit du métro parisien. «Il y a une fameuse anecdote à ce sujet, raconte Balmer. La scène a exigé de nombreuses prises. Quand, finalement, Belmondo est redescendu sur le quai, un mec de la RATP lui a dit: «Bravo, moi, même pour 3 millions, je ne l’aurais jamais fait.» Et Belmondo lui a répondu: «Moi non plus!» J’adore cette histoire.»

En 1979, les deux acteurs se retrouvent dans Flic ou voyou, de Georges Lautner. Michel Audiard signe les dialogues. Ce dernier, rappelle JeanFranço­is Balmer, «était à l’époque considéré comme un amuseur de bas étage: il était la cible favorite du terrorisme intellectu­el de gauche qui sévissait alors». Aujourd’hui, on le vénère. C’est la référence. Dans Flic ou voyou, les répliques cultes fusent au rythme des scènes les plus improbable­s. Balmer campe Georges Massard, un flic ripou, personnage qui le poursuit encore. Il s’explique: «Chaque fois que le film est rediffusé, le lendemain, des gens m’apostrophe­nt avec des: «Bonjour inspecteur Massard!»

Le tournage a eu lieu à Nice: «C’était une grande déconnade, très agréable, mais jamais je n’aurais imaginé que le film ferait un tel succès. Belmondo, lui, était adorable avec tout le monde. Surtout pas le genre à s’éclipser pour aller manger de son côté.» Un seigneur.

Sa tournée théâtrale avec la pièce Le CV de Dieu «achevée cahin-caha à cause de la pandémie», Jean-François Balmer retournera bientôt à la télévision. Il retrouvera en octobre, l’espace de deux jours de tournage, son ancienne camarade de Conservato­ire Isabelle Adjani devant la caméra de Josée Dayan dans Diane de Poitiers, un téléfilm en deux parties.

 ??  ?? Jean-François Balmer, 75 ans, se souvient d’un Belmondo déjà star qui faisait tout pour mettre à l’aise ses jeunes partenaire­s à l’écran.
Jean-François Balmer, 75 ans, se souvient d’un Belmondo déjà star qui faisait tout pour mettre à l’aise ses jeunes partenaire­s à l’écran.
 ??  ?? Dans «Flic ou voyou», de Georges Lautner, sorti en 1979, Bébel se retrouve confronté à deux flics ripoux, l’un (à g.) incarné par l’acteur italien Luciano Stella, l’autre par Jean-François Balmer.
Dans «Flic ou voyou», de Georges Lautner, sorti en 1979, Bébel se retrouve confronté à deux flics ripoux, l’un (à g.) incarné par l’acteur italien Luciano Stella, l’autre par Jean-François Balmer.

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