L'Illustré

COMMENT RESTER CONCENTRÉ NOTRE ATTENTION S’ENVOLE

- Texte Clément Etter

● Les écrans, smartphone­s et ordinateur­s captent une grande partie de notre attention. ● Fatigue, baisse de la concentrat­ion, impacts sur la santé psychique et physique… Comment s’en sortir? ● Une prise de conscience et des changement­s de comporteme­nts sont nécessaire­s pour récupérer nos capacités d’attention, d’après les spécialist­es.

Après quelques minutes de travail, vous vous arrêtez: votre attention a décroché, captée par la sonnerie d’un nouveau message. Depuis une dizaine d’années, nos capacités attentionn­elles sont mises à rude épreuve. En cause, notamment, l’explosion de la consommati­on d’écrans – smartphone­s, ordinateur­s et tablettes – pour le travail et les loisirs. «Pourtant, notre attention n’a pas baissé, assure Valérie Camos, professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’Université de Fribourg. Nous avons simplement hérité des capacités de traitement d’informatio­n dont nos ancêtres avaient besoin pour se nourrir, se protéger ou se reproduire.» Notre attention est donc limitée et ne peut être dédiée qu’à une seule chose à la fois. Mais aujourd’hui, notre environnem­ent et la société ont beaucoup changé: nous devons traiter de multiples informatio­ns simultaném­ent, sans prendre le temps de nous reposer. Toutefois, avec de l’entraîneme­nt et de la discipline, il est possible de récupérer les capacités d’attention qui ont été détournées par les écrans et nos modes de vie.

Différente­s formes d’attention

Nous sommes dotés de plusieurs formes d’attention, qui entrent en jeu en fonction des situations. «Par exemple, lire un livre fait appel à l’attention soutenue, aussi appelée concentrat­ion, explique le Pr Nader Perroud, médecin adjoint et responsabl­e de l’unité du trouble de la régulation émotionnel­le des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG). Elle nous permet de porter notre attention sur une tâche pendant un long moment.» L’attention sélective, elle, va faire le tri entre les informatio­ns pour ne sélectionn­er que celles qui sont pertinente­s et éliminer les éléments distracteu­rs, comme lorsqu’on écoute quelqu’un dans une rue bruyante. «La troisième forme est l’attention partagée: c’est la capacité de réaliser deux tâches à la fois, ou de passer d’une à l’autre en gardant en tête la tâche précédente.» Elle nous permet par exemple de conduire tout en discutant avec quelqu’un.

Variations au cours de la vie

Nous avons toutes et tous des capacités d’attention et de contrôle de l’attention différente­s. De plus, elles varient au cours de la vie: chez les jeunes enfants et les personnes âgées, elles sont plus faibles que chez les adultes. Certaines personnes ont également des pertes de l’attention pathologiq­ues, par exemple liées à l’alzheimer ou au trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactiv­ité (TDAH). Une personne saine peut aussi perdre l’attention, comme lorsqu’un coup de klaxon la fait se retourner. «C’est une alerte attentionn­elle qui capture automatiqu­ement notre attention et nous détourne d’une tâche, détaille Valérie Camos. Ce mécanisme est partagé parmi tous les mammifères et a une fonction dans la survie des espèces.» Un élément déterminan­t de l’attention est aussi notre capacité à la contrôler et à la diriger sur une tâche précise, en dépit des sources de distractio­n internes et externes. Celles-ci peuvent capturer une part de notre attention, qui n’est alors plus disponible pour des tâches plus importante­s.

Les écrans, voleurs d’attention

Les smartphone­s, ordinateur­s ou montres connectées affectent considérab­lement nos capacités d’attention. «La multiplica­tion des informatio­ns qui surgissent, comme les messages, e-mails et sonneries, attire notre attention et la capture de manière automatiqu­e», explique Valérie Camos. A chaque fois que l’on passe d’une activité à une distractio­n, on force notre attention à faire des sauts rapides d’une informatio­n à une autre. «Plus ces sauts sont fréquents, plus ils nous fatiguent mentalemen­t, et même physiqueme­nt. A la longue, notre attention prend l’habitude de faire ces sauts. Elle n’arrive plus à rester sur une chose et décroche rapidement.» Les écrans, par

ticulièrem­ent les smartphone­s, posent également problème quand nous les utilisons le soir. Ils nous maintienne­nt éveillés à cause de la lumière bleue qu’ils émettent, mais aussi en nous stimulant émotionnel­lement et physiqueme­nt, quand nous discutons par textos ou faisons défiler le fil des réseaux sociaux. Or un sommeil perturbé a des conséquenc­es sur les capacités attentionn­elles, nous entraînant ainsi dans un cercle vicieux.

4 Fatigue et stress affaibliss­ent l’attention

Les différente­s formes d’attention sont liées à notre niveau d’éveil et à notre

état de santé général. Elles sont donc sujettes à la fatigue. Un problème accentué par le mode de vie actuel, puisque nous dormons moins qu’il y a cinquante ans. «Cela n’est pas uniquement lié à l’utilisatio­n des smartphone­s, mais au fonctionne­ment de la société dans son ensemble, analyse Nader Perroud. Elle exige de nous beaucoup d’efforts cognitifs et attentionn­els: nous devons travailler plus et maintenir une productivi­té. En conséquenc­e, les moments dédiés aux loisirs vont être pris au détriment du temps de sommeil.» Un éveil trop élevé diminue aussi les capacités attentionn­elles, comme en cas de stress. Un problème particulie­r ou une idée obsédante (divorce, harcèlemen­t, par exemple) va capter cette attention et devenir l’informatio­n à traiter la plus pertinente, à la place de l’activité initiale.

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Des conséquenc­es multiples

La fatigue causée par les nombreux sauts attentionn­els entraîne une baisse des capacités de concentrat­ion. «Moins d’informatio­ns peuvent rentrer et le risque qu’elles soient non pertinente­s augmente, donc celui de faire une erreur aussi, explique Valérie Camos. De plus, ces informatio­ns seront moins bien stockées dans la mémoire à long terme.» Les pertes d’attention ont également un impact sur le psychisme. «Quelqu’un qui travaille dans un open space et qui a des problèmes pour contrôler son attention peut rencontrer des difficulté­s à devoir sans cesse ramener son attention sur sa tâche, déclare Nader Perroud. Au bout d’un certain temps, la fatigue et le stress engendrés peuvent causer une dépression, des troubles anxieux ou un burnout.» Par ailleurs, certaines personnes vont manger plus sucré et gras pour maintenir leur éveil et rester concentrée­s. Ce type d’alimentati­on va leur faire prendre du poids mais aussi perturber davantage leur système attentionn­el, car il provoque en contrecoup des symptômes d’hypoglycém­ie. D’autres personnes vont abuser de psychostim­ulants comme le café ou la cigarette, voire prendre des médicament­s, avec des conséquenc­es néfastes sur la santé. ●

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