«Le rôle de l’Etat est crucial»
Trois questions au Pr Philip D. Jaffé, vice-président du Comité des droits de l’enfant des Nations unies et professeur au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève.
Les parents sont-ils les seuls responsables quand il s’agit de la sécurité et de la protection des enfants dans l’univers du numérique?
Non, le rôle de l’Etat est crucial. Il doit dans la mesure du possible à la fois protéger tous les membres de la société, les adultes comme les enfants, des dangers du numérique, mais aussi veiller à ne pas brider l’accès, qui doit rester aussi libre que possible, et préserver ses bienfaits éducatifs et d’efficience.
L’univers du numérique n’est d’ailleurs pas sans foi ni loi. Les menaces, les injures, la diffamation ou la calomnie, le chantage, la représentation de la violence, etc. tombent sous le coup de la loi en Suisse. Ces actes peuvent faire l’objet de plaintes, d’enquêtes de police et donner lieu à des condamnations pénales.
Comment mieux réglementer le numérique?
Il n’existe pas beaucoup d’exemples convaincants de réglementation de l’univers numérique et beaucoup est laissé au bon vouloir et à la conscience des grandes compagnies qui se partagent la Toile. Pour l’heure, la meilleure pratique de défense des citoyens est australienne. Ce pays a mis en place un e-commissaire avec un mandat et des moyens suffisants pour intervenir avec force lorsque des pratiques mettent en danger des utilisateurs, avec la possibilité de porter plainte, mais aussi de mettre un terme à des opérations commerciales.
L’Union européenne vient d’approuver une nouvelle loi – le DSA (Digital Services Act) – visant à mieux réguler internet afin de protéger les droits fondamentaux des utilisateurs. Désormais, ce sera plus facile de forcer les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) d’enlever un contenu illégal (déni de l’Holocauste, incitation au racisme, au terrorisme, etc.) et d’interdire la publicité de produits nuisibles aux enfants.
Quelles autres mesures concrètes pourraient être exigées du côté des géants de la Toile ainsi que des compagnies qui proposent des programmes et produits numériques?
Par exemple, la technologie existe pour déterminer l’âge des utilisateurs et donc identifier les enfants qui chercheraient à se connecter à du contenu inadapté. Ou encore, les sociétés qui proposent de nouveaux produits pourraient n’être autorisées à les commercialiser que si des évaluations d’impact sur les enfants sont réalisées et démontrent l’absence de risques. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a aussi interpellé les Etats pour qu’ils mettent en place des moyens pour éduquer et conseiller les parents afin d’accompagner leurs enfants de manière optimale dans l’utilisation des moyens numériques à disposition. Il va sans dire que les écoles ont aussi un rôle important à jouer. ●