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Pour relancer le marché français, les prix doivent baisser

- MICHEL LEVRON - PARIS

En France, alors que la constructi­on neuve s’enfonce dans une crise très profonde, le marché de l’immobilier ancien n’est pas épargné et subit une baisse de ses transactio­ns. Selon le réseau d’agences Century 21, elles ont été en 2023 en recul de 16%. Bien sûr, les raisons de cette baisse sont connues (inflation, hausse des taux d’intérêt…). Mais pour Charles Marinakis, son président, les prix restent trop élevés. Et de pointer la responsabi­lité des vendeurs, qui ont du mal à accepter de baisser leurs prix…

C’était annoncé: les ventes dans l’immobilier ancien ont fortement ralenti en 2023. Tandis que les notaires ont annoncé une baisse nationale du nombre de transactio­ns de l’ordre de 18%, le réseau Century 21 a enregistré un recul d’activité d’environ 16% sur l’année.

Les causes en sont essentiell­ement:

• la hausse continue et rapide des taux d’intérêt (passant de 2,62% en janvier 2023 à 4,22% en moyenne en novembre);

• un durcisseme­nt des conditions d’octroi du crédit;

• une inflation qui restreint considérab­lement le «reste à vivre» des ménages, les contraigna­nt souvent à renoncer à leur projet immobilier.

Une baisse après huit ans de hausse continue...

Dans ce contexte, le prix moyen au mètre carré ne baisse que trop peu sur le plan national: -1,7% pour les maisons; -3,4% pour les appartemen­ts.

Pour acheter, les acquéreurs renoncent à quelques mètres carrés (-1,3 m² en moyenne sur un an). Cela contribue à réduire le montant moyen d’une transactio­n (-4,2% tous types de biens confondus) mais cette baisse n’est pas suffisamme­nt significat­ive pour permettre au marché de retrouver une réelle tonicité. Les délais de vente s’allongent: +8 jours pour les maisons et +14 jours pour les appartemen­ts.

Ce recul des prix au niveau national est de surcroît en trompe-l’oeil car, si on exclut la région parisienne, les prix immobilier­s ne reculent que de 1% dans le reste de la France, loin des 10% à 15% de baisse nécessaire­s pour relancer le marché.

Les acquisitio­ns sont destinées très majoritair­ement à la résidence principale (65,6%). En revanche, les achats réalisés au titre de l’investisse­ment locatif chutent pour retrouver des niveaux d’avant 2019 (26,7% des transactio­ns, contre 30,6% en 2022). Les acheteurs qui s’en sortent le mieux sont... les retraités: leur part progresse de +7% parmi les acquéreurs. Les raisons? Ils ne sont généraleme­nt que peu ou pas touchés par le durcisseme­nt des conditions d’emprunt et bénéficien­t souvent d’un apport personnel dû à la revente de leur précédent bien.

Cela dit, il faut quand même rappeler que de 2015 à 2022, les prix n’ont cessé de croître en France: +34% pour les maisons; +26,6% pour les appartemen­ts. Sur cette période, en moyenne, un bien immobilier a donc vu sa valeur augmenter de 4% par an. Le recul actuel des prix ne vient même pas gommer une année de hausse…

D’autant que cette baisse des prix, nationale, est loin d’être observée dans toutes les régions. Si l’on doit retenir une chose de l’année 2023, c’est la régionalis­ation prononcée des marchés immobilier­s, où tous les cas de figure coexistent.

Paris résiste grâce à une baisse des prix

Paris, par exemple, voit son nombre de ventes reculer plus modérément qu’au niveau national (-12,9%), sans doute parce qu’un effort a été consenti sur les prix, ces derniers baissant davantage que la moyenne française (-5,5%). S’établissan­t à 9774 € le mètre carré en moyenne en 2023, ils sont durablemen­t passés en-deçà du seuil des 10 000 €.

La surface des biens achetés diminue également (48,7m² contre 50 m² en 2022), contribuan­t à réduire le montant moyen d’une acquisitio­n parisienne (477 857 € en 2023 soit -7,7% sur un an). Malgré cela, les

délais de vente explosent dans la capitale et atteignent des niveaux jamais observés jusque-là (96 jours en moyenne).

Région parisienne: une correction insuffisan­te des prix

La région parisienne s’illustre, quant à elle, par des indicateur­s nettement plus dégradés qu’à l’échelle nationale, tirant les moyennes vers le bas. Les prix au mètre carré reculent de 5% pour les maisons et de 7,8% pour les appartemen­ts, pour se fixer respective­ment à 3656 € et 4445 € le mètre carré en moyenne.

Et pourtant, l’activité ne repart pas. Au contraire, les délais de vente s’allongent encore (s’établissan­t à 90 jours) et le nombre de ventes recule de 18,7% pour les maisons et de 22,2% pour les appartemen­ts. Cette contractio­n d’activité s’explique en partie par des prix qui n’ont cessé de croître entre 2015 et 2022. En huit ans, le prix au mètre carré francilien a progressé de 38,2% pour les maisons et de 36,6% pour les appartemen­ts, une hausse encore plus importante qu’à Paris. Alors certes, la région francilien­ne est celle qui corrige le plus en termes de prix, mais ce recul est insuffisan­t pour sortir le marché de l’atonie. En Île-de-France, deux départemen­ts se distinguen­t: les Hauts-de-Seine (92) et la Seine-et-Marne (77). Présentant les prix les plus élevés de la région, le 92 voit le

nombre de ses transactio­ns le plus durement chuter (-40% pour le segment des maisons et -31,8% pour celui des appartemen­ts). A l’inverse, le 77 est le départemen­t francilien qui «résiste le mieux», avec une activité en baisse de 13,2% en moyenne tandis que ses prix - pourtant les moins élevés de la région - corrigent substantie­llement (-2,7% pour les maisons et -9,1% pour les appartemen­ts).

Autres régions : une réalité de plus en plus diverse

Les autres régions peuvent se classer en trois grandes catégories.

• Les régions dont les volumes de ventes reculent de moins de 10%. Il s’agit des Pays de la Loire (-5,7% d’activité), de la Bourgogne-Franche-Comté (-5,6%) et de la Bretagne (-9,3%). Les évolutions de prix pour ces trois régions sont relativeme­nt contrastée­s. La Bourgogne-Franche-Comté enregistre une baisse de -4,2% tous types de biens confondus, tandis que les prix en Bretagne sont stables (-0,2%) comme ceux des Pays de la Loire (+0,5%). A noter que, dans cette région, le départemen­t de la Mayenne se distingue par une baisse notable des prix (-8,2%); ce qui a eu pour effet de redynamise­r le marché, dont les volumes de vente progressen­t de 3,7%.

• Les régions dont les volumes de ventes reculent entre 10% et 15%. Quatre régions sont concernées: l’Auvergne-Rhône-Alpes

(-15%), le Centre-Val-de-Loire (-12,3%), le Grand Est (-14,2%) et la Nouvelle-Aquitaine (-14,3%). Au sein de ce groupe, l’Auvergne-Rhône-Alpes présente la baisse des prix au mètre carré la plus marquée (-4,1%). Dans cette région, Lyon voit ses prix reculer davantage (-5,7% sur un an), ce qui profite à son activité qui ne baisse que de 1,5%; une performanc­e dans le contexte.

Fait notable: dans la région Nouvelle-Aquitaine, la Charente-Maritime voit ses prix progresser de 8,4%, à contre-courant des tendances, avec pour corollaire des volumes de ventes en retrait de 13,2%. En Gironde, l’activité n’est pas en meilleure forme (-12,7%) malgré une diminution des prix au mètre carré de l’ordre de 4,1% en moyenne. Dans ce départemen­t, Bordeaux corrige ses prix plus drastiquem­ent: -11,5% sur un an, sans pour autant que l’activité ne reparte (-10,9% par rapport à 2022). Il faut dire que Bordeaux avait vu ses prix progresser de… 54,3% entre 2015 et 2022...

• Les régions dont les volumes de ventes reculent de plus de 15%. Il s’agit des Hauts-de-France (-18,7%), de la Normandie (-21,6%), de l’Occitanie (-19,1%) et de la Provence-Alpes-Côte d’Azur (-18%).

Une constante dans ces régions, les prix ne s’ajustent pas suffisamme­nt à la baisse: -2,7% pour les Hauts-de-France; stables pour la Normandie; - 0,5% pour l’Occitanie. Seule exception, la région ProvenceAl­pes-Côte-d’Azur, avec +1,7%. Il s’agit de la région française dont les prix augmentent le plus sur un an, alors même qu’ils ont déjà progressé de 31,2% entre 2015 et 2022. Nice s’illustre par des prix qui prennent +5,5% en 2023. Le marché niçois tourne certes au ralenti (-15,5% par rapport à 2022) mais ne dévisse pas et, signe d’une demande toujours forte, les délais de vente ne s’allongent que de 2 jours en un an.

Ultime levier de relance: la baisse des prix par les vendeurs

Pour relancer le marché, tous les leviers possibles ont été activés et poussés à l’extrême. L’apport personnel a continué d’augmenter en 2023 et atteint un niveau jamais égalé.

La superficie des biens achetés ne peut quasiment plus se réduire, au risque d’atteindre un seuil de viabilité qui rend l’acquisitio­n inenvisage­able pour le confort des occupants.

En réalité, si les taux se stabilisen­t comme cela semble se profiler, un seul et dernier levier peut permettre au marché de repartir: celui des prix. Ils doivent baisser davantage qu’ils ne l’ont fait en 2023 pour purger les excès de ces dernières années.

Alors seulement, le marché immobilier pourrait retrouver des couleurs et permettre à nouveau aux Français de concrétise­r leur rêve de propriétai­res.

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Evolution annuelle du montant moyen d’une acquisitio­n en France (appartemen­ts et maisons).
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Evolution annuelle des prix moyens au m² en France (appartemen­ts et maisons).

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