Système cardio-vasculaire de l’économie
Valérie Lemaigre*
Depuis quelques semaines, le secteur bancaire retrouve sa couleur oxygénée sur les marchés européens dans un environnement de volatilité des devises et de taux d’intérêt négatifs. La performance des banques dans les indices dépasse, pour certains pays, 30%, la division bancaire suisse étant proche de la tête du classement avec 33% depuis le début d’année. Le secteur s’accommoderait-il sans mal de l’environnement monétaire? Dans ce cas, en quelques mois, le système cardiovasculaire de l’économie se serait normalisé, éliminant les réactions d’hyperventilation enregistrées après les accidents cardiaques provoqués par les interventions monétaires (changes et intérêts) sur fond de cumul de régulation. Si tel était le cas, le ventricule propulserait à nouveau le crédit à travers l’aorte économique en faveur de l’oxygénation de l’activité. Le malade bancaire n’aurait donc été qu’imaginaire.
Pourtant, l’analyse un peu plus fouillée des bilans des banques nous enseigne un comportement alerte mais pas forcément soutenable. En Suisse, les banques ont réduit leurs actifs en devises étrangères plus que leurs passifs, depuis janvier. Contrairement à ces dernières, les institutions européennes ont été incitées à enfler leurs actifs en devises, notamment pour profiter des distorsions introduites sur les produits de protection des changes. Entre les banques suisses qui réduisent leurs actifs étrangers et les banques européennes enclines à les augmenter notamment en francs, l’affaiblissement de la devise helvétique est un objectif vain tant que les résidents suisses ne répondent pas au voeu pieu de la BNS en investissant hors de la Confédération.
Par ailleurs, cette situation des changes et taux négatifs incite une prise de risque supplémentaire dans les bilans bancaires par l’acquisition de positions sur des titres plus rémunérateurs plutôt que d’assurer la transmission sanguine par le crédit à l’activité économique. Dans la zone euro, les premiers signes de reprise du crédit apparaissent, étant pourtant concentrés sur des flux inter- bancaires, les entreprises restant encore timorées face au nouvel engagement d’investissement.
Le système cardio-vasculaire économique n’est dès lors pas encore suffisamment oxygéné même si une courbe des taux plus pentue, une volatilité des devises et une augmentation du capital boursier créent à nouveau des opportunités qui s’apparentent plus à des transactions financières (M&A, trading) qu’à un retour d’une profitabilité issue de l’activité réelle. Les globules blancs multipliés ces derniers mois par les mesures monétaires ne prémunissent donc pas contre des attaques immunitaires issues de retournement des taux d’intérêt et de changes, et préjudiciables à la profitabilité du système cardiovasculaire économique.