Le Temps

Parents à vie

Les juges déboutent un père en grave conflit avec la mère Des difficulté­s persistant­es à coopérer peuvent justifier un retrait de l’autorité parentale conjointe

- Par Denis Masmejan

Fruit d’un long combat pour l’égalité des droits entre père et mère, l’autorité parentale conjointe exercée par les parents divorcés ou séparés a fini par voir le jour le 1er juillet 2014. Le Tribunal fédéral était appelé jeudi à rendre sa première décision de principe en la matière. Elle n’est pas faite pour rassurer.

L’un des juges, mis en minorité, l’a dit sans détour: l’interpréta­tion de ses collègues autorise de fait un retour en arrière. L’arrêt de Mon-Repos laisse en effet subsister de grandes incertitud­es sur la manière dont cette innovation légitime sera mise en pratique. Le jugement, rendu en séance publique, n’est certes pas encore rédigé. Il est donc trop tôt pour tirer des conclusion­s définitive­s.

Le Tribunal fédéral avait à statuer sur les exceptions au principe de l’autorité parentale conjointe. Il était confronté à un dilemme: plus ces exceptions sont largement définies, plus le résultat, pour les parents concernés, se rapproche de la situation prévalant avant 2014. Et plus la nouvelle loi risque de rester lettre morte dans les faits.

En décidant que les exceptions au principe ne se limitent pas aux cas les plus graves de violences, de dépendance ou d’abus, mais qu’il fallait laisser aux tribunaux une substantie­lle marge d’appréciati­on pour définir la meilleure solution pour l’enfant, les juges paraissent tolérer une forme de retour en arrière, au lieu de consacrer le changement de paradigme intervenu en 2014.

On peut seulement espérer que les avancées promises par la nouvelle loi ne seront pas remises en cause. La décision des juges est pleine de bonnes intentions, mais la suite dira si elle est opportune.

En cessant de faire dépendre l’autorité parentale conjointe du consenteme­nt de chacun des parents et en l’érigeant en règle générale, la loi entendait traduire dans les pratiques juridiques la conviction que lorsque l’on est père ou mère, on l’est à vie. Le nouveau droit renforçait ainsi le lien juridique entre l’enfant et le parent qui, à la suite d’une séparation, cessait d’en avoir la garde.

Le fait qu’en pratique, l’autorité parentale conjointe améliore surtout les droits des pères n’enlève rien à sa légitimité. Ce droit de codécision n’a au demeurant qu’une portée limitée puisqu’il ne concerne que les choix les plus importants pour l’avenir de l’enfant, et non sa prise en charge quotidienn­e. Sa suppressio­n ne devrait donc être envisagée qu’à titre d’ultima ratio. On aurait voulu entendre cela plus clairement encore de la bouche des juges.

«Ce sont dix ans de travaux législatif­s que vous risquez de jeter au rebut!» Le juge fédéral Felix Schöbi est fâché et le dit à ses collègues de la IIe Cour de droit civil. Réunis jeudi en séance publique, ceux-ci viennent de prendre une décision qui, gronde le magistrat mis en minorité, risque d’annuler dans les faits les progrès apportés depuis l’an dernier par le passage au principe de l’autorité parentale conjointe des parents séparés ou divorcés. «Tout va rester comme avant», déplore le juge.

Par quatre voix contre une, la haute cour a débouté un père qui demandait le maintien de l’autorité parentale conjointe sur sa fille, âgée aujourd’hui de 6 ans. Durant la vie commune, les pa- rents – non mariés – s’étaient tout d’abord entendus pour exercer les droits parentaux en commun. Après la séparation, le climat s’était fortement dégradé.

Trop de conflits entre les parents, pas assez d’aptitude réciproque à coopérer, la situation, a fini par trancher la justice zurichoise, était devenue préjudicia­ble à la fillette, qui souffrait d’un conflit de loyauté. Le père, il est vrai, n’avait pas amélioré son cas en refusant dans un premier temps de payer la contributi­on d’entretien. Il avait même été condamné pour cela. Pour autant, sa relation avec sa fille était unanimemen­t qualifiée de bonne. Mais comme la mère disposait déjà de la garde de l’enfant, c’est elle qui a obtenu l’autorité parentale exclusive.

Le Tribunal fédéral a suivi. Si l’autorité parentale conjointe doit être désormais la règle, les exceptions ne se limitent pas aux cas gravissime­s dans lesquels un enfant doit être retiré à un parent violent, alcoolique, toxicomane ou abuseur, comme l’aurait souhaité le juge minoritair­e. L’attributio­n de l’autorité parentale à un seul parent entre aussi en ligne de compte dans les situations où des conflits «persistant­s et importants» ont des répercussi­ons négatives sur le développem­ent de l’enfant, ont retenu les juges. Encore faut-il que la suppressio­n de l’exercice commun de l’autorité parentale paraisse pouvoir améliorer la situation.

C’était la première fois que la haute cour se prononçait sur l’applicatio­n des nouvelles dispositio­ns entrées en vigueur le 1er juillet 2014. Sa jurisprude­nce était attendue avec d’autant plus d’intérêt que la question des exceptions au principe de l’autorité parentale conjointe avait été laissée dans le flou par le parlement. Or elle est cruciale: si les exceptions sont interprété­es trop largement, il y a effectivem­ent un risque qu’on en revienne à la pratique antérieure et que la révision du Code civil, qui avait déjà dû surmonter de nombreuses résistance­s avant d’être acceptée, demeure lettre morte.

Les juges de la majorité s’en sont montrés conscients. Ce sera aux tribunaux de première instance, ont-ils souligné, d’utiliser leur marge d’appréciati­on pour éviter qu’une interpréta­tion trop extensive des exceptions ne débouche in fine sur un retour en arrière.

Le juge Felix Schöbi, lui, n’est pas rassuré. Les divorces houleux sont loin d’être l’exception, rappelle-t-il, renvoyant aux très nombreux litiges relatifs au droit de visite. Si l’existence d’un conflit de loyauté pour l’enfant suffit à elle seule à justifier l’attributio­n de l’autorité parentale à un seul des deux parents, prévient-il, la nouvelle loi restera lettre morte.

Ce serait revenir en effet à la pratique qui s’était imposée entre l’entrée en vigueur du nouveau droit du divorce, en 2000, et l’introducti­on de l’autorité parentale conjointe en 2014. Avant 2000, l’autorité parentale conjointe n’était pas possible. Après, elle est devenue possible, mais seulement si les deux parents étaient d’accord, ce qui laissait à chacun la possibilit­é d’exercer une forme de droit de veto. Au surplus, une fois acceptée, l’autorité parentale conjointe pouvait être retirée et attribuée exclusivem­ent à l’un des parents en cas de conflits persistant­s et d’impossi- bilité durable des deux parents à coopérer.

L’intention du législateu­r, en 2014, n’était évidemment pas d’en rester là. Mais Simonetta Sommaruga elle-même n’aura pas contribué à clarifier la portée du nouveau droit. La conseillèr­e fédérale, notoiremen­t réservée à l’égard de l’autorité parentale conjointe, comme bon nombre des femmes socialiste­s du parlement, s’est autorisé à la tribune des Chambres une interventi­on qui, ne s’est pas privé de relever Felix Schöbi, contredit le texte du message du Conseil fédéral.

Comme la mère disposait déjà de la garde de la fillette, c’est elle qui a obtenu l’autorité parentale La question des exceptions au principe de l’autorité parentale conjointe avait été laissée dans le flou

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