Le souvenir de «Katrina»
Barack Obama était jeudi en Louisiane pour célébrer le dixième anniversaire de la catastrophe
Dix ans après le passage de l’ouragan sur La Nouvelle-Orléans, qui avait tué près de 1800 personnes, la cité a repris vie. Mais pas pour tous.
Il y a dix ans, le 29 août 2005, le monde entier découvrait, choqué, une facette méconnue de l’Amérique. Une région négligée par les pouvoirs publics. Révélateur brutal de cette réalité que d’aucuns ont vite fait de comparer à celle d’un pays du tiers-monde, l’ouragan Katrina, qui a ravagé La Nouvelle-Orléans, tué près de 1800 personnes et chassé de la ville des milliers d’autres, a interloqué les Américains eux-mêmes.
Le «Waterloo» de Bush
Le président de l’époque, George W. Bush, qui n’a pas pris la mesure de la catastrophe, se contentant de survoler la région, a vécu son «Waterloo» et il n’allait pas se remettre d’une cote de popularité en chute libre. Le traumatisme a été tel que Katrina est devenu le symbole de la déroute. Un documentaire poignant d’une dizaine d’heures intitulé Katrina et réalisé pour la chaîne de télévision HBO par le cinéaste Spike Lee montrait avec acuité la faillite des pouvoirs publics avant, pendant et après l’ouragan. La tragédie a aussi donné lieu à des affabulations. Le tireur d’élite Chris Kyle, héros du film American Sniper, s’était vanté avant sa mort de s’être posté sur le toit du Superdome de La Nouvelle-Orléans et d’avoir tiré sur les pilleurs. Ces faits d’armes ont été démentis par les secouristes présents sur place qui accueillaient des milliers de citoyens en détresse.
Pour mesurer toutefois le chemin parcouru, le président Barack Obama s’est rendu jeudi à La Nouvelle-Orléans. Il s’est félicité de «l’extraordinaire ressort» de ses habitants et a salué une ville qui «lentement mais sûrement continue à avancer». De fait, la «Big Easy», comme elle se surnomme, vit une renaissance. Les start-up connaissent un boom sans précédent. Les jeunes branchés y accourent pour créer leur société de technologie et contribuer à l’avènement d’une «Silicon Bayou» tout en profitant des allégements fiscaux alléchants et des loyers bas. Nombreux sont les nouveaux en-
trepreneurs qui y étaient venus pour aider à la reconstruction. Ils y sont restés. De jeunes hipsters y ont trouvé leur lieu d’implantation. Des artistes de tous genres y ont élu domicile, des restaurants branchés y ont ouvert. Des logements sociaux, construits avec l’aide de la fondation de l’acteur Brad Pitt et conçus par des architectes comme Frank Gehry, donnent une allure nouvelle à la cité.
140 milliards d’investissements
Ce renouveau ne s’est pas produit par hasard. Sous une pression morale née de l’impéritie des autorités, près de 140 milliards de dollars ont été investis par l’Etat fédé-
ral, la Louisiane, les mécènes et les compagnies d’assurances.
Parmi les améliorations, le système scolaire a fait un bond en avant. Avant Katrina, explique The Economist, 62% des enfants étaient inscrits dans des écoles défaillantes. Aujourd’hui, nombre d’organismes indépendants ont pris en charge le secteur et ce pourcentage a chuté à 6%.
Encore à majorité noire, La Nouvelle-Orléans a changé en partie de visage en dix ans. Parmi ceux qui sont venus aider à la reconstruire, beaucoup d’Hispaniques du Honduras et d’Amérique centrale. Aujourd’hui, les Latinos sont plus de 103 000 alors qu’ils n’étaient que 58 000 en 2000. Ce change- ment démographique est considérable pour une ville de 384 000 habitants.
Le miracle économique post- Katrina ne bénéficie toutefois pas à tout le monde. Le quartier le plus pauvre de la ville et le plus touché par l’ouragan, le Lower Ninth Ward, a perdu la moitié de sa population. Au-delà de l’image idyllique du berceau du jazz et du renouveau, La Nouvelle-Orléans a encore ses zones d’ombre. La pauvreté continue de toucher 30% de la population. La hausse des loyers due à un début de «gentrification» pousse les plus défavorisés, avant tout des Afro-Américains, à aller vivre ailleurs. Les inégalités sont parmi les plus criantes du pays. Le salaire médian des ménages afroaméricains est plus de la moitié inférieur à celui des ménages blancs. La criminalité reste endémique.
Changement climatique
Et l’avenir? Les digues protégeant la ville de nouveaux ouragans ont été reconstruites. Les risques sont-ils désormais écartés? Avant l’arrivée de Barack Obama à La Nouvelle-Orléans, le gouverneur ultra-conservateur de Louisiane, Bobby Jindal, candidat à la Maison-Blanche, a mis en garde le président, le priant de ne pas aborder la question du changement climatique…