Le Temps

«Cela a été une Schnapside­e»

L’organisate­ur de l’expédition Arktika 2007, Frederik Paulsen, donne sa version de l’affaire. Il s’est agi selon lui d’un malentendu

- Propos recueillis par E. D.

Le drapeau russe planté en 2007 au coeur de l’océan Arctique, à la verticale du pôle Nord, a soulevé une vive controvers­e. Le geste a été aussitôt interprété à travers le monde comme une preuve flagrante de la volonté russe d’accaparer la région. Atteint par téléphone en Equateur où il s’apprêtait à gravir un volcan, le financier principal de l’expédition, l’entreprene­ur suédois Frederik Paulsen, assure qu’il ne s’est absolument pas agi de cela.

Le Temps: Quel rôle l’Etat russe a-t-il joué dans l’expédition? Frederik Paulsen:

L’explorateu­r australien Mike McDowell et moi avons monté une expédition internatio­nale privée. Nous avons utilisé des équipement­s russes pour la simple raison que les Russes sont les seuls à disposer de brise-glaces et de sous-marins capables de plonger sous la banquise à de grandes profondeur­s. Quant au financemen­t, j’en ai assuré les deux tiers. Le reste a été versé par quelques autres personnes. Mais pas un centime, pas un rouble n’est venu du gouverneme­nt russe.

– Qui a décidé de planter un drapeau russe sur le fond marin?

– Cela a été, comme disent les Allemands, une Schnapside­e, de ces idées qui nous viennent quand on a bu trop de bouteilles. Quelques jours avant la plongée, des membres russes de l’expédition se la sont mise tout seuls en tête. Ils sont descendus dans la cale du navire et ont fabriqué le drapeau avec les moyens du bord. Un geste qui n’avait pas été prévu.

– Pour quelle raison vos compagnons ont-ils pris une telle initiative?

– Vous savez, une telle idée n’a rien de surprenant. Nous avons fait ce que font tous les explorateu­rs lorsqu’ils atteignent leur but. Les vainqueurs de l’Everest ont déposé un drapeau britanniqu­e au sommet de la montagne. Ils ne prétendaie­nt pas pour autant que l’endroit devait revenir à la Grande-Bretagne. Les groupes ont les mêmes habitudes. Leurs membres viennent tous avec un fanion, celui de leur pays, de leur club de football et j’en passe. Lors d’une expédition, j’ai moi-même planté le drapeau frison au pôle Nord. Et pourtant – croyez-moi! – il ne me viendrait pas à l’idée de demander le rattacheme­nt du pôle Nord à la Frise.

– Les membres russes de l’expédition partageaie­nt-ils, selon vous, ce point de vue?

– L’homme qui a planté le drapeau, Arthur Tchilingar­ov, a été clair à ce sujet. Lors d’une conférence donnée à New York devant un nombreux public, il a affirmé qu’il avait voulu rendre hommage aux Russes arrivés les premiers sur le site, mais que cela ne donnait aucun droit particulie­r à son pays. Il a ajouté qu’il y avait beaucoup de place au fond de l’océan et que tous les pays du monde pouvaient aller y planter leurs drapeaux s’ils le désiraient.

– Comment se fait-il que les Russes soient arrivés les premiers au fond et pas les membres occidentau­x de l’expédition, à savoir vous et Mike McDowell?

– J’ai choisi la répartitio­n des équipages dans les deux sous-marins. Arthur Tchilingar­ov a proposé que nous descendion­s ensemble dans le premier sousmarin. Mais j’ai préféré laisser la place aux Russes. Cela a été ma décision.

– Vous soutenez donc que l’Etat russe n’avait rien à voir avec cette initiative?

– Absolument. Et je pense que les fonctionna­ires du Ministère russe des affaires étrangères ont été les premiers surpris lorsque la photo du drapeau a commencé à circuler à travers le monde. Aucun d’entre eux n’était impliqué. Arthur Tchilingar­ov est bien un officiel russe. Mais il avait été invité par moi à titre privé.

– Comment expliquez-vous que les médias aient interprété presque unanimemen­t cette histoire comme la preuve d’une volonté russe de mettre la main sur le pôle Nord?

– Parce que cette histoire est trop belle. La version vraie d’une expédition privée, qui a planté un drapeau bricolé, est beaucoup moins intéressan­te. Nous vivons par ailleurs dans une société qui accorde une large part au visuel. La photo du drapeau russe a accaparé toute l’attention.

– Considérez-vous que cette histoire en dit long sur une certaine vision occidental­e de la Russie? Une Russie dont beaucoup guettent, quoi qu’elle fasse, les visées expansionn­istes?

– Tout à fait. L’homme n’aime rien autant que la confirmati­on de ses préjugés.

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Frederik Paulsen: «Nous avons fait ce que font tous les explorateu­rs lorsqu’ils atteignent leur but.»

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