A Grolley, les requérants ne mèneront pas la vie de château
Une magnifique bâtisse du XIXe siècle devrait accueillir des requérants. L’opposition est forte, mais l’image est trompeuse
Un château. Avec un parc de 2 hectares, deux terrasses orientées plein sud, une vue dégagée sur les Alpes et les montagnes jurassiennes. Au XIXe siècle, la vie devait être belle au château de Rosière. Mais une autre destinée attend cette majestueuse propriété. Située sur une butte entre Belfaux et Grolley, dans le canton de Fribourg, elle pourrait bientôt accueillir des requérants d’asile. De quoi soulever les coeurs de la commune de Grolley, qui veut que ce projet soit mis à l’enquête, et de 752 signataires d’une pétition déposée mi-août à la Chancellerie. Le texte demande au Conseil d’Etat d’abandonner l’idée et de préserver ce site de qualité pour une affectation plus prestigieuse. Mais préserver quoi, au fait?
Le Temps a visité la demeure en compagnie de Jean-Baptiste Henry de Diesbach, administrateur du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, ainsi que de la Fondation Notre-Dame de la Nativité, propriétaire des lieux. De loin, le château de Rosière en impose. Mais son charme s’estompe à peine le portail franchi. Point de jardins luxuriants, ni de parfum de rose qui embaumerait l’air matinal. Quelques chaises sont empilées sur une des terrasses tandis qu’à l’intérieur, le charme s’arrête définitivement au pied de l’escalier central, en pierre.
Au fil des ans, la bâtisse a été transformée pour l’accueil. De petites chambres ont été aménagées sur trois étages tandis qu’au rezde-chaussée, on trouve une chapelle, une cuisine fonctionnelle ainsi que deux salles sans grand intérêt si ce n’est l’ancien parquet… et un alignement de pots de confiture, bouteilles de sirop et autres conserves confectionnées par les quelques soeurs orthodoxes roumaines qui logent là mais se cachent à la vue des visiteurs.
A croire que le temps s’est arrêté dans les années 60-70, lorsque la moquette, les faux plafonds et la tapisserie étaient à la mode, le tout dans des tons bruns, jaunes, orange, verts. N’en déplaise à ceux qui craignent les déprédations ou jugent l’endroit trop beau pour des migrants, le château de Rosière n’offre pas une vie de château. Le Service cantonal des biens culturels a également constaté qu’il reste bien peu de substance historique à l’intérieur des murs.
Longue tradition d’accueil
Le domaine a vu défiler nombre de propriétaires depuis le XVe siècle. Mais la bâtisse actuelle a été construite pour le compte de Nicolas Kern et date de 1827. Jean-Baptiste Henry de Diesbach y est particulièrement attaché car elle a ensuite longtemps appartenu à l’un de ses ancêtres, Alphonse de Diesbach. Officier dans la Garde suisse des rois de France, il est revenu en Suisse après la révolution de juillet 1830. «C’était aussi un artiste», commente notre guide. Il résidera au château de Rosière jusqu’à son décès, en 1888.
A sa mort, la demeure reste d’abord en mains familiales. Commence ensuite une longue tradition d’accueil qui explique les aménagements douteux entrepris par les résidents successifs. «Au début du XXe siècle, des chartreux expulsés de France par les lois anticléricales trouvent refuge ici. Pendant la Première Guerre mondiale, ce sont des enfants belges qui sont accueillis. En 1944, les marianistes y installent leur noviciat», résume Jean-Baptiste Henry de Diesbach, qui admet qu’il y a des trous dans l’histoire. «Ce que l’on sait par contre, c’est que la propriété a été pillée par les troupes fédérales en 1847, lors de la guerre du Sonderbund», indique-t-il.
Toujours est-il que l’aménagement intérieur actuel date probablement de 1966, lorsque le château devient officiellement propriété de l’OEuvre des coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi, laquelle en fait un lieu de retraite spirituelle. Le Service des biens culturels du canton de Fribourg note qu’avant son rachat, la bâtisse est présentée comme «passablement délabrée» et qu’elle subit de lourdes interventions avant son inauguration officielle, en 1967. «La substance historique du bâtiment a été en grande partie sacrifiée par le réaménagement intérieur de cette époque, qui s’est contenté de conserver et de sauver les façades», note Aloys Lauper, chef de service adjoint.
En 2011, l’OEuvre des coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi re- groupe ses activités en France et vend le château à la Fondation Notre-Dame de la Nativité, administrée par l’évêché de Lausanne, Genève et Fribourg. Un achat qui n’a pas manqué d’être critiqué à l’heure où l’Eglise fait face à une baisse des vocations et possède de nombreux biens sous-occupés.
Peu d’alternatives
Pour l’évêché et la fondation, le château de Rosière est vite devenu une épine dans le pied. L’entretien a son coût et aucun projet n’a trouvé de financement. L’idée d’en faire un centre pour toxicodépendants échoue également, faute de soutien. Y accueillir des requérants d’asile devrait avoir plus de chances étant donné les besoins actuels en nouveaux logements. La fondation et l’évêché y voient une suite logique à la tradition d’accueil de ce lieu. Régulièrement accusée d’être trop frileuse en matière d’accueil de réfugiés dans ses murs, l’Eglise redore ainsi son blason sous l’impulsion du nouvel évêque, Mgr Charles Morerod.
Mais les opposants reprochent à l’Eglise de ne s’être pas suffisam- ment investie pour trouver une affectation plus valorisante du site, classé d’importance régionale comme des centaines d’autres propriétés à Fribourg.
La commune de Grolley avait lancé un concours d’idées, qui n’a rien donné de probant. Reste qu’elle n’a elle-même jamais fait de proposition de rachat. «Ce n’est pas si simple, répond Jean-Baptiste Henry de Diesbach. On ne se sépare pas comme ça d’un bien d’Eglise. Il y a toute une procédure canonique à suivre, qui est complexe. Et d’ailleurs, nous n’avons pas non plus l’intention de dilapider notre patrimoine. Nous voulons au contraire le mettre en valeur.» L’évêché et la fondation comptent louer le château à l’Etat, avec un droit de superficie. «Ainsi, nous prêtons le site pour une bonne cause. Et l’Etat assurera l’entretien de ce patrimoine», poursuit l’administrateur.
Ce n’est pas encore fait. La préfecture doit maintenant statuer sur la demande de la commune de Grolley de procéder à une mise à l’enquête. Une décision attendue avec impatience.