Le Temps

Merkel et Hollande plaident pour une Europe ouverte

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Les deux chefs d’Etat s’exprimaien­t hier à Strasbourg, 25 ans après Helmut Kohl et François Mitterrand.

Dans la vie des institutio­ns européenne­s, l’événement a pris une tournure historique: la chancelièr­e allemande Angela Merkel et le président français François Hollande se sont exprimés ce mercredi après-midi devant le Parlement de Strasbourg.

Il n’y a pas eu d’annonces politiques nouvelles, néanmoins l’interventi­on a été toutefois très suivie dans une Europe en crise. «Le souveraini­sme c’est le déclinisme», a martelé François Hollande sous les applaudiss­ements et des huées. «Le débat qui s’impose c’est plus d’Europe ou la fin de l’Europe.»

La chancelièr­e allemande a rappelé qu’en 1989 François Mitterrand et Helmut Kohl s’étaient exprimés devant la même assemblée avec la conscience des défis auxquels devait faire face l’Europe suite à la chute du communisme. «Aujourd’hui, nous sommes à nouveau face à un immense défi», a-t-elle poursuivi en évoquant le flux des réfugiés.

«Soyons francs, le processus de Dublin est obsolète», a tranché Angela Merkel, qui plaide pour une nouvelle approche plus solidaire. «Se cloisonner à l’époque d’Internet est une illusion. Nous devons au contraire défendre nos valeurs, la dignité humaine, la tolérance, le respect des minorités», selon la chancelièr­e.

Angela Merkel a conclu son discours en rappelant l’attitude d’Helmut Kohl il y a 25 ans à l’égard de l’Europe de l’Est, dans un plaidoyer pour l’ouverture de l’Europe et l’accueil des réfugiés sous des applaudiss­ements nourris.

«Le processus de Dublin est obsolète. Se cloisonner à l’ère d’Internet est une illusion»

ANGELA MERKEL

Le moteur franco-allemand de l’Union européenne semble figé par la différence de poids grandissan­te entre les deux pays, alors que Paris et Berlin tentent de gommer leurs différence­s de fond sur les crises du moment

Entre Paris et Berlin, souvent présentés comme l’axe moteur de l’Union européenne, la différence de poids – économique et donc politique – est devenue telle que François Hollande semble souvent à la remorque de sa partenaire allemande. Qu’ils se soient exprimés ensemble mercredi devant le Parlement de Strasbourg – une première pour un chef d’Etat français et un chancelier depuis vingt-six ans – a donc une valeur très symbolique alors que Paris et Berlin tentent de relancer la locomotive européenne en gommant leurs différence­s sur les dossiers du moment.

Cherchant à mettre en avant la dynamique du moteur franco-allemand, le président et la chancelièr­e ont souligné leurs points communs, réclamant «plus d’Europe face aux crises», et notamment au sujet des migrants. Sur ce point, quelques différence­s persistent. Longtemps la France a refusé l’idée de répartir le poids des réfugiés sous forme de «quotas» entre les pays membres de l’Union européenne, comme le souhaitait l’Allemagne qui a accueilli 600000 demandeurs d’asile cette année. Paris a progressé sur le dossier. Selon une lettre commune de François Hollande et Angela Merkel aux autorités européenne­s que s’est procurée Le Monde, ils appellent à mettre en oeuvre «intégralem­ent et sans délai» les dispositio­ns récentes adoptées par l’UE comme la création de «hot spots» (des centres où les réfugiés politiques seraient distingués dès leur sauvetage en mer des migrants dits «économique­s» qui seraient renvoyés chez eux) et l’établissem­ent de camps de réfugiés cofinancés par l’UE à proximité des pays d’origine. Le texte évoque également une «répartitio­n» des «réfugiés» «équitablem­ent et dans un esprit de solidarité entre les Etats membres» par un «mécanisme permanent et obligatoir­e de relocalisa­tion». Le terme de «quotas», qui fâche à Paris, n’est pas évoqué, mais on s’en rapproche.

Divergence­s sur la Syrie

A Paris comme à Berlin, on tient par ailleurs à préserver l’acquis des Accords de Schengen de 1985, qui garantisse­nt la libre circulatio­n des biens et des personnes au sein des pays membres, mise à mal par les barbelés édifiés par Viktor Orban autour de la Hongrie mais aussi par les déclaratio­ns du premier ministre britanniqu­e David Cameron.

Sur le terrain diplomatiq­ue, la France et l’Allemagne unies sur le dossier ukrainien connaissen­t un certain nombre de divergence­s au sujet de la guerre en Syrie. Angela Merkel estime désormais qu’il faut parler «avec tous les interlocut­eurs» sur le terrain. Y compris Bachar el-Assad, que Paris cherche à faire traduire en justice. La diplomatie française exclut pour l’instant tout dialogue avec le dictateur syrien.

Autre sujet critique entre les deux pays, l’approfondi­ssement de l’Union monétaire. François Hollande avait promis dans son discours du 14 juillet de s’attaquer aux dysfonctio­nnements de la zone euro, évoquant notamment l’idée d’un parlement et d’un budget propres afin de venir en aide aux pays en difficulté. Mais Angela Merkel attend toujours de Paris les précisions qu’elle a demandées à ce sujet. De la même façon, Angela Merkel attend toujours de son partenaire français la mise en place de véritables réformes structurel­les à Paris, considérée­s à la Chanceller­ie comme étant seules à même de redresser la situation économique de l’Hexagone. Pour Angela Merkel, le tandem Valls-Macron tarde à donner des résultats.

«Entre la France et l’Allemagne, les points de départ sont souvent opposés, résume la chercheuse Daniela Schwarzer, du German Marschall Fund. Du coup, le compromis n’est pas évident. Ça n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que la division des tâches – internatio­nal à la France, économie à l’Allemagne – n’est plus pertinente.» Sur la scène diplomatiq­ue aussi, l’Allemagne est de plus en plus incontourn­able.

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