Le Temps

La crise boursière en Chine pourrait freiner les collection­neurs

Alors que la bourse et la croissance flanchent dans l’Empire du Milieu, il n’en ira pas forcément de même pour l’art

- CATHERINE COCHARD

«Black Monday!» tweetait le 24 août dernier l’agence Chine Nouvelle alors que la bourse de Shanghai perdait 8,5% en clôture. Un lundi noir précédé de signes avant-coureurs – entre mi-juin et mi-juillet, les actions domestique­s chinoises ont dégringolé de plus de 30% de leur valeur – et qui pourrait connaître des répliques malgré les mesures de relance prises par Pékin. «Le ralentisse­ment de la croissance n’est pas vraiment une surprise, commentait alors le Financial Times. Les autorités tentent de rééquilibr­er l’économie, en passant d’un modèle basé sur l’investisse­ment et les exportatio­ns à un modèle reposant sur la consommati­on. Mais les récentes statistiqu­es font douter de la capacité du pays à y parvenir.»

La consommati­on, justement. Plusieurs observateu­rs du marché de l’art pensent que la crise que traverse actuelleme­nt la Chine pourrait freiner les dépenses des collection­neurs de l’Empire du Milieu, à l’instar d’Alexander Forbes, journalist­e du site Artsy, qui va jusqu’à comparer la situation avec celle du Japon à la fin des années 1980. Une vision soutenue par plusieurs rapports qui annoncent des chiffres à la baisse pour le marché chinois des ventes aux enchères d’art. Ainsi, selon la plateforme en ligne Artnet, la Chine – y compris Hongkong – a vu ses ventes de «fine art» (hors antiquités, biens culturels anonymes et mobilier) baisser de 30% à la fin du premier semestre de 2015 pour s’établir à 1,5 milliard de dollars contre 2,2 milliards en 2014, un exercice déjà en recul par rapport à celui de 2013.

La confiance demeure

De son côté, Artprice indique qu’après avoir connu une hausse de 214% entre 2009 et 2014 et avoir pris la pole position mondiale en 2010, le marché chinois (inclus Hongkong et Taiwan) des enchères de «fine art» a connu une baisse de 39% durant la période de janvier à juin 2015. L’Empire du Milieu passe à nouveau second avec 26% de parts du secteur contre 38% pour les EtatsUnis (+20% par rapport au premier semestre 2014). A noter que le Royaume-Uni talonne de près la Chine avec 25% des parts, soit une augmentati­on de 6% par rapport au premier semestre 2014.

Enfin, une étude publiée en juillet par la société Arttactic identifie plus précisémen­t le segment des enchères chinoises qui a particuliè­rement flanché durant les six premiers mois de l’année, soit celui de l’art contempora­in chinois qui s’est effondré de 44% par rapport à 2014. Selon Anders Petterson et Yu Chen, les auteurs du rapport, ces résultats pourraient forcer les opérateurs à se distancier de ce secteur du marché réputé volatil et spéculatif pour développer une offre panasiatiq­ue.

L’habitude du nonpaiemen­t

Mais malgré les Cassandre, chez Christie’s la confiance demeure. La première maison d’enchères au monde enregistre même une augmentati­on de ses résultats en Asie de janvier à juin 2015 avec un total des ventes sur ce territoire s’élevant à plus de 455 millions de dollars (contre 422,8 pour la même période en 2014). «Les rapports comme celui d’Artnet ne prennent en compte que le domaine du «fine art», prévient François Curiel, président de Christie’s en Asie. Ces chiffres ne reflètent qu’une facette du secteur des enchères, ils ne sont pas représenta­tifs de la totalité du marché.» Selon lui, pour le moment, les soubresaut­s de l’économie chinoise n’ont pas affecté celle de l’art. Il dit néanmoins rester «prudemment optimiste» et attend avec impatience les adjudicati­ons du mois de novembre. «Depuis cet été, il n’y a pas encore eu de grandes ventes. Celles de l’automne permettron­t de mesurer si l’effondreme­nt des actions chinoises a un impact sur les enchères.»

Il demeure que les chiffres du premier semestre 2015 pour les ventes d’art en Chine ne sont pas excellents. Mais le ralentisse­ment de l’économie du pays n’en est pas forcément la cause. Les maisons de vente aux enchères nationales comme Poly et China Guardian auraient d’importants problèmes liés à l’authentici­té des oeuvres mises à l’encan et il est fréquent que des ventes soient annulées à la dernière minute en raison de la présence importante de contrefaço­ns. Ce qui peut doublement influencer les résultats en réduisant le nombre de pièces adjugées et en rendant les enchérisse­urs plus prudents. De surcroît, il existe en Chine continenta­le une habitude qui se développe: le non-paiement – a posteriori – des pièces passées sous le marteau. Selon Artnet, en 2014 près de 63% des lots adjugés aux enchères pour plus de 10 millions de yens n’ont pas été réglés par l’acheteur. Ce pourcentag­e est même en augmentati­on de 22% par rapport à 2013.

Le président d’Artprice, Thierry Ehrmann, estime quant à lui que «ce ralentisse­ment doit être imputé à plusieurs facteurs concomitan­ts, à commencer par les mesures anti-corruption drastiques instaurées par le président Xi Jinping, qui paralysent les secteurs du luxe et le marché de l’art.» En l’absence d’un cadre légal clair, les riches chinois éviteraien­t les achats extravagan­ts. «On note dans les salles de ventes une forte diminution des enchères millionnai­res: 170 sur le premier semestre 2015 contre 286 au cours des six premiers mois de 2014», ajoute-t-il.

Impact négatif

Nicolas Galley, le directeur des études «Executive Master in Art Market Studies» de l’Université de Zurich, est d’avis que les mesures anti-corruption ont un impact sur le secteur. Mais il estime aussi que la bulle autour de l’art contempora­in chinois est en train de se dégonfler. Et que c’est plutôt une bonne chose. «Même s’ils sont en baisse, les prix pour ces artistes sont encore très élevés si on les compare à des signatures internatio­nales.» Plutôt que de ralentisse­ment, il faudrait parler de reposition­nement. «Les acheteurs se détournent du segment spéculatif de l’art contempora­in chinois et lui préfèrent des valeurs plus sûres.»

Quant à l’impact négatif de l’effondreme­nt de la bourse chinoise sur le commerce de l’art, l’expert n’y croit pas trop. «Auparavant, les effets d’une crise mettaient un à deux ans à se faire sentir sur l’économie de l’art. Mais aujourd’hui, cela s’est quelque peu décorrélé. A court terme, on notera peut-être quelques dommages collatérau­x mais par la suite nombreux seront les Chinois qui vont se retrouver avec passableme­nt de cash entre les mains parce qu’ils auront liquidé leurs positions. Il n’est pas impossible alors qu’ils choisissen­t l’art comme placement alternatif.»

«Les ventes de l’automne permettron­t de mesurer si l’effondreme­nt des actions chinoises a un impact sur les enchères» FRANCOIS CURIEL, PRÉSIDENT DE CHRISTIE’S ASIE

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(KIM CHEUNG/KEYSTONE) En Chine, en 2014, près de 63% des lots adjugés aux enchères pour plus de 10 millions de yens n’auraient pas été réglés par l’acheteur.
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