Le Temps

Des activistes exigent que Renoir, jugé nul, soit banni des musées

- MARIE-CLAUDE MARTIN

Des activistes demandent que les toiles du peintre français disparaiss­ent des musées. Pourquoi? «Parce que c’est un artiste nul»

L’affaire est amusante, surréalist­e ou inquiétant­e, c’est selon. Est-ce un happening artistique? L’émergence d’une conscience citoyenne pour faire pression sur un marché de l’art devenu fou? Une forme de terrorisme esthétique? Une lubie pour avoir son quart d’heure de gloire?

Lundi, un groupe d’une vingtaine de personnes faisait le pied de grue devant le Musée des beaux-arts de Boston pour que les tableaux de Pierre-Auguste Renoir soient enlevés des cimaises, dont Le Déjeuner à Bougival. Leurs slogans? «Dieu déteste Renoir», «Renoir est nul» ou «Re-NO-ir».

A la tête de ce mouvement, petit en nombre mais relativeme­nt influent compte tenu des échos dans la presse anglo-saxonne, on trouve l’activiste Max Geller qui ne mâche pas ses mots et ne fait pas dans la nuance. Que reprochet-il au Français? D’être l’artiste le plus surestimé en Occident, de ne pas savoir peindre les doigts et les mains, de transforme­r la beauté du monde, par exemple les arbres, en un «ramassis de lignes ondu- lées dégoûtante­s et verdâtres». Bref, d’être nul.

Sa critique n’est pas qu’esthétique, elle est aussi morale quand il reproche au Français d’être une figure du «mâle blanc dominant». Il suggère que les tableaux du peintre soient remplacés par d’autres, de vrais chefs-d’oeuvre de l’impression­nisme qui sommeillen­t dans les stocks et qui, eux, méritent vraiment leur place dans l’histoire de l’art.

Obsessionn­el dans son combat, Max Geller a créé un compte Instagram intitulé «The Renoir sucks at painting» (Renoir est nul en peinture) et déposé une pétition en avril sur le site de la Maison-Blanche, pressant Obama d’intervenir pour que la Galerie nationale de Washington retire tous ses «horribles» Renoir.

Son dégoût épidermiqu­e est né après avoir visité la Fondation Barnes à Philadelph­ie qui possède une importante collection de Renoir, soit 181 tableaux. Plusieurs d’entre eux sont de la dernière période, pas la plus fameuse, il est vrai. Un déclin souvent attribué aux épouvantab­les rhumatisme­s déformants qui ont handicapé la vie de l’artiste. Si Max Geller reconnaît que les premières peintures étaient meilleures que les tardives, il n’en pense pas moins que toute l’oeuvre de Renoir est surévaluée et qu’à ce titre «justice culturelle doit être rendue».

Quelque 4511 personnes suivent et nourrissen­t son compte Instagram, un appel à la détestatio­n artistique qui a fait réagir Geneviève Renoir, l’arrière-arrière-petite-fille du peintre. «Mettez-vous cela en tête: il n’existe qu’un seul indicateur de la valeur d’un tableau: c’est la salle des ventes», disait Renoir. Reprenant l’argument de son aïeul, elle s’en remet au marché de l’art qui, contre les goûts de Max Geller, «continue de juger le travail de mon arrièrearr­ière-grand-père pas si mauvais».

Des arguments irrecevabl­es pour l’activiste. Comment ce fameux marché, qui cautionne la destructio­n des mers, les complexes militaro-industriel­s ou l’esclavage, pourrait-il juger de la qualité d’une oeuvre?

D’accord, mais qui alors? Les experts, la critique, le marché, la mode, la spéculatio­n, les collection­neurs, le public, les conservate­urs de musée, l’Etat, le temps et ses lubies qui font et défont les réputation­s? C’est la question implicite que pose ce groupe de justiciers, dont les actions bon enfant mais les propos virulents, souvent imagés, sont déjà considérés par certains comme une expression esthétique à part entière, où l’ironie le dispute à la créativité. La récupérati­on aussi est un art.

 ?? (KEYSTONE) ?? Lundi, devant le Musée des beaux-arts de Boston, des activistes demandent le retrait des oeuvres de Renoir, qui fait honte à la peinture.
(KEYSTONE) Lundi, devant le Musée des beaux-arts de Boston, des activistes demandent le retrait des oeuvres de Renoir, qui fait honte à la peinture.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland