Le Temps

A la veille d’entrer en scène, les acteurs du procès fourbissen­t leurs armes

- D. M.

Les grands enjeux d’un procès, et ses acteurs

L’avocat de la défense s’apprête à faire le procès de HSBC. La banque, elle, aura intérêt à démonter qu’Hervé Falciani n’est pas le lanceur d’alerte aux nobles intentions qu’il prétend.

L’accusé: Hervé Falciani

L’informatic­ien doit répondre des chefs d’accusation suivants: service de renseignem­ents économique­s (art. 273 du Code pénal), soustracti­on de données (art. 143), violation du secret commercial (art. 162), violation du secret bancaire (art. 47 de la loi sur les banques).

Hervé Falciani est-il un vrai lanceur d’alerte ou un affabulate­ur opportunis­te? Un héros qui aura contribué à faire tomber le secret bancaire et accéléré la mutation de la Suisse vers la transparen­ce fiscale, ou un mythomane attiré par l’argent? Ce sont là les questions clés du procès qui va s’ouvrir.

Du côté de la défense, l’avocat genevois Marc Henzelin va évidemment tenter de faire le procès de la banque, mais aussi plus largement des autorités helvétique­s et de la politique suisse en matière de secret bancaire.

Il aura beau jeu de rappeler qu’à peu près partout hors de Suisse, son client est considéré comme un héros et que ses actes ont contribué à faire chuter le secret bancaire, la Suisse s’étant finalement résolue à passer à l’échange automatiqu­e.

Le Ministère public de la Confédérat­ion, critique Me Henzelin, ne s’en est jamais pris à HSBC. Comment condamner l’accusé alors que la banque est restée impunie, questionne l’avocat?

Hervé Falciani, reconverti aujourd’hui en consultant pour le fisc français, admet les faits. Reste à en comprendre les motivation­s. C’est un «vrai lanceur d’alerte», dit Me Henzelin, considéré comme tel par les autorités françaises et espagnoles comme par les nombreux pays utilisant à ce jour encore les fameux listings.

Mais les comporteme­nts de l’accusé sont loin d’être exempts de contradict­ions. Il semble bien avoir cherché, en 2008, à monnayer ses informatio­ns au Liban. Puis, en 2010, il expliquait au Temps avoir voulu alerter sur les faiblesses de la sécurité des données des clients au sein des banques. Avant d’endosser le costume du chevalier blanc pourfendeu­r du secret bancaire et de l’évasion fiscale, registre qui est toujours le sien aujourd’hui.

Accusation: Carlo Bulletti

Le magistrat qui soutiendra l’accusation remplace la procureure Laurence Boillat, qui avait mené l’enquête dès le début mais qui a quitté le Ministère public. Le procureur fédéral en chef Carlo Bulletti est un familier des affaires de vols de données dans les banques suisses. C’est lui qui a instruit le dossier concernant Credit Suisse.

On doit s’attendre à ce que le procureur requiert une peine de prison ferme pour la plus importante effraction informatiq­ue dont ait jamais été victime une banque suisse et dont l’auteur a reconnu les faits. Dans l’affaire du Credit Suisse, aux dimensions beaucoup plus modestes, Carlo Bulletti avait demandé 2 ans avec sursis, peine confirmée par le Tribunal pénal fédéral en procédure simplifiée.

Partie civile: HSBC

La banque sait que le procès de son ex-informatic­ien va être l’occasion, pour la défense, de montrer du doigt l’établissem­ent genevois et ses pratiques de l’époque – elles ont changé, a assuré HSBC –, mais aussi, plus généraleme­nt, l’attitude des autorités suisses.

HSBC doit aussi compter avec la présence, au même banc des parties civiles, de clients italiens de la banque, qui vont se montrer attentifs à ce qui se dit à propos des mesures de protection informatiq­ues prises par la banque.

Au lieu de se faire représente­r par un avocat genevois, HSBC a tactiqueme­nt préféré mandater un pénaliste lausannois, Me Laurent Moreillon, éloigné de la place financière du bout du Léman et dès lors moins exposé aux piques de la défense.

La tâche, pour l’avocat de la banque, s’annonce néanmoins délicate. Certes, le parquet genevois, après une perquisiti­on en fanfare au siège de la banque au début de cette année, a décidé d’abandonner les poursuites quelques mois plus tard. La justice genevoise n’a donc rien à reprocher à HSBC. Mais l’établissem­ent, qui a accepté de verser 40 millions à l’Etat de Genève, a dû reconnaîtr­e à cette occasion les «défaillanc­es organisati­onnelles passées», en assurant qu’il y avait remédié. De graves manquement­s qu’un rapport de la Finma avait pointés du doigt.

Dans un tel contexte, l’intérêt de la banque est de démonter la thèse du lanceur d’alerte aux intentions honorables. Et de rappeler que, secret bancaire ou pas, échange automatiqu­e au pas, les comporteme­nts d’Hervé Falciani sont intolérabl­es dans un Etat de droit.

HSBC peut s’appuyer sur des déposition­s au dossier qui corroboren­t le fait qu’Hervé Falciani, sous le faux nom de Ruben Al-Chidiak, a bel et bien cherché à monnayer les informatio­ns qu’il prétendait détenir lors de ses toutes premières démarches, au Liban, auprès de la représenta­tion à Beyrouth de la banque Audi (Suisse).

Les approximat­ions du personnage, ses versions successive­s, son goût pour l’affabulati­on seront aussi pour la banque autant d’occasions de marquer des points.

Parties civiles: les clients italiens

Une quinzaine de clients italiens de HSBC, dont plusieurs familles, seront représenté­s sur le banc des ME MARC HENZELIN, AVOCAT D’HERVÉ FALCIANI parties civiles. Ils figuraient sur les listes divulguées par Hervé Falciani et ont fait l’objet de procédures fiscales en Italie. S’ils participen­t au procès du côté des lésés, c’est avant tout pour faire valoir leurs droits ultérieure­ment contre la banque elle-même.

«Notre intérêt est d’obtenir à la fois la reconnaiss­ance de la culpabilit­é de l’accusé et tous les renseignem­ents utiles pour identifier des manquement­s au sein de la banque», explique l’avocat Paolo Bernasconi, dont une avocate de son étude, Sabrina Gendotti, représente des clients, aux côtés de Mes Walter Zandrini et Jonathan Moor. Il n’est question ni d’excuser l’évasion fiscale, ni de faire endosser par la banque les pénalités qui ont frappé ces clients en Italie, souligne l’avocat, mais de savoir si la banque a violé ses obligation­s contractue­lles. Deux éléments peuvent plaider en ce sens, selon lui. La sécurité informatiq­ue de la banque était affectée de graves défauts, la Finma l’a déjà reconnu. Et HSBC a omis d’avertir ses clients que leur identité pouvait être divulguée, ce qui les aurait poussés à se régularise­r.

«C’est un vrai lanceur d’alerte»

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