Le Temps

Ex-haut responsabl­e de l’ONU accusé de corruption

- STÉPHANE BUSSARD, NEW YORK

John Ashe, 61 ans, a profité de sa fonction de président de l'Assemblée générale de l'ONU en 2013 pour promouvoir les intérêts d'un milliardai­re chinois

tombe au mauvais moment. Les Nations unies, qui célèbrent leurs 70 ans d’existence et qui éprouvent des difficulté­s à financer certaines de leurs agences dont le Haut-Commissari­at pour les réfugiés (HCR), sont secouées par une vaste affaire de corruption. Elu au poste de président de l’Assemblée générale de l’ONU où il a servi de septembre 2013 à septembre 2014, John Ashe a été arrêté mardi à son domicile par les autorités américaine­s. Ancien ambassadeu­r d’Antigua-et-Barbuda auprès de l’ONU à New York, il est accusé d’avoir participé à un réseau de corruption impliquant cinq autres personnes dont Ng Lap Seng, un milliardai­re chinois de Macau.

Habitué aux déclaratio­ns tonitruant­es, le très énergique procureur fédéral de New York, Preet Bharara, bien connu des banques suisses, n’a pas mâché ses mots: «Si elles sont prouvées, les accusation­s faites aujourd’hui confirmero­nt que le cancer de la corruption qui gangrène trop de gouverneme­nts […] ronge aussi les Nations unies.» Le procureur fédéral a accusé les personnes interpellé­es d’avoir fait de l’ONU une «plateforme pour faire du profit».

Entre 2011 et 2014, John Ashe, 61 ans, est accusé d’avoir accepté des pots-de-vin à hauteur de 1,3 million de dollars. La charge la plus directemen­t liée à l’ONU relève d’un voyage effectué par l’ex-diplomate à Macau au printemps 2011. Invité par un ex-diplomate de la République dominicain­e, Francis Lorenzo, John Ashe s’est rendu dans la ville chinoise pour rencontrer le magnat de l’immobilier Ng Lap Seng. Ce dernier a cherché à corrompre l’ambassadeu­r d’Antigua pour qu’il fasse la promotion du UN Macau Conference Center, un vaste complexe de conférence de plusieurs milliards de dollars dont l’ONU pourrait faire usage. John Ashe s’est de fait vu offrir un voyage en première classe à La Nouvelle-Orléans et un séjour en famille dans un luxueux hôtel.

Compte personnel

En 2014, le même John Ashe retourne à Macau et exige du milliardai­re chinois 200000 dollars à verser au nom du président de l’Assemblée générale. Une grande partie de ces fonds sera toutefois transférée sur le compte personnel du responsabl­e onusien. L’ambassadeu­r dominicain Francis Lorenzo voit en John Ashe le moyen idéal d’obtenir un allié au sein même de l’organisati­on internatio­nale. Il va jusqu’à rédiger un document onusien estampillé «John Ashe» que ce dernier soumet au secrétaire général de l’ONU. Le document de promotion du centre de conférence de Macau circulera dans l’enceinte onusienne, obtenant au passage le soutien de pays comme le Bangladesh et le Kenya. Mais ni l’Assemblée générale ni le bureau de Ban Ki-moon ne donneront suite à la propositio­n.

Du côté des responsabl­es onusiens, qui s’appliquent à promouvoir la transparen­ce de l’organisati­on, la nouvelle a été accueillie avec stupeur. Ban Ki-moon s’est dit «choqué et profondéme­nt troublé». Son porte-parole Stéphane Dujarric a déclaré que l’organisati­on venait d’apprendre la nouvelle et qu’elle n’avait pas été mise au courant par les autorités judiciaire­s américaine­s. Admettant qu’elle portait atteinte à «l’intégrité des Nations unies», il a toutefois voulu rectifier les propos incendiair­es du procureur fédéral. «La corruption n’est pas une pratique courante» à l’ONU.

Le présent cas ne manque toutefois pas de rappeler une autre affaire qui avait fortement ébranlé les Nations unies dans les années 1990: le programme pétrole contre nourriture que l’organisati­on supervisai­t en Irak. Après une enquête menée par une commission dirigée par Paul Volcker, le responsabl­e du programme Benon Sevan avait été mis en cause. L’affaire avait secoué même le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan dont le fils Kojo fut soupçonné de conflits d’intérêts au vu du poste qu’il occupait au sein de la société Cotecna chargée de la vérificati­on des produits entrant en Irak.

L’ex-président de l’Assemblée générale est aussi accusé d’avoir accepté de juteux pots-de-vin pour promouvoir les intérêts du milliardai­re chinois à Antigua-et-Barbuda. John Ashe a ainsi pu obtenir une voiture de luxe, deux montres Rolex et des costumes sur mesure. Il a même pu se faire construire un terrain de basketball dans sa propriété de Dobbs Ferry, dans l’Etat de New York. Si l’accusé s’acquitte d’une caution d’un million de dollars, il est appelé à rendre son passeport et devra porter un bracelet électroniq­ue.

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