Le Temps

De quoi les bilatérale­s sont-elles le nom?

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«Il faut sauver les bilatérale­s». Ce slogan, qui tourne discrèteme­nt en boucle aux lisières ombreuses de la campagne pour les élections fédérales du 18 octobre, présente l’avantage de la concision mais pêche par manque de précision. On ne sait pas si c’est une injonction, une promesse, un réflexe, un mantra ou le refrain rescapé de l’hymne à la voie bilatérale tant de fois entonné dans les assemblées des partis bourgeois.

On ne sait pas non plus de quoi l’on parle exactement. Vu le contexte, il semble que, malgré la confusion des genres, le plus grand nombre entend par là les accords bilatéraux I, directemen­t menacés par l’atteinte portée à la libre circulatio­n des personnes et l’applicatio­n de la clause guillotine. Mais cela peut tout aussi bien concerner le bilatérali­sme en tant que tel, la voie bilatérale opposée à d’autres modes de relations avec l’UE, l’acquis des négociatio­ns bilatérale­s passées, avec ou sans la poursuite de celles-ci, offrant ellemême un éventail de variantes? Que veut-on précisémen­t sauver et, a contrario, que veut-on détruire, et surtout à quel prix? L’expression pratique et englobante de «bilatérale­s» dissimule, sous son large manteau d’ambiguïtés, des conception­s et des intentions très différente­s.

Pour l’instant, cela arrange tout le monde de rester dans le vague en invoquant, de façon tout à fait légitime, l’attente de la publicatio­n des propositio­ns du Conseil fédéral pour la mise en oeuvre de l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse». Il faudra bien, un jour ou l’autre, sortir du bois.

Il apparaît que, dans le camp de ceux qui veulent «sauver les bilatérale­s», tous sont loin d’être d’accord sur le prix à payer. On constate également que, dans le camp adverse, les positions ont évolué dans le sens d’une radicalisa­tion.

Les auteurs de l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse» avaient commencé par assurer qu’ils voulaient uniquement une modificati­on de l’accord sur la libre circulatio­n des personnes et que cette exigence était sans risques pour les bilatérale­s. Ils ont prétendu par la suite que tous ceux qui avaient voté en faveur de ladite initiative étaient parfaiteme­nt conscients que cela pouvait remettre en question les accords bilatéraux. On les entend désormais de plus en plus souvent affirmer que ces accords sont surévalués et que l’on peut aisément s’en passer. On parle ici évidemment des accords bilatéraux I, mais que serait une relation bilatérale avec l’UE amputée de ces accords? Les bilatérale­s sont mortes, a-t-on entendu dire cette semaine le vice-président romand de l’UDC, ClaudeAlai­n Voiblet.

On note également une évolution du vocabulair­e dans les rangs des anti-européens. Jusqu’ici, ils dénonçaien­t et raillaient les «euro-turbos», dénominati­on extrêmemen­t vague dont on a pu dire qu’elle servait à stigmatise­r à peu près tout le monde entre les partisans d’une adhésion à l’UE demain matin et les amateurs de choux de Bruxelles. Une nouvelle catégorie vient d’apparaître dans leur collimateu­r. La Weltwoche s’en prenait la semaine dernière, sous la plume de son rédacteur en chef, le néo-blochérien Roger Köppel, aux «bilatérali­stes obnubilés» (par l’UE) qui, aveuglés par une vision idéologiqu­e, «ne voient plus le reste du monde». La formule, savoureuse, donne à penser que l’UDC rêve désormais, s’agissant des relations entre la Suisse et l’UE, à un retour à l’état de choses existant entre le 1er janvier 1973 et le 1er mai 2002, soit respective­ment l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre la Suisse et la Communauté européenne et celle des premiers accords bilatéraux. Il sera utile de rappeler, le moment venu, le pourquoi et le comment des immenses efforts qui ont dû être consentis pour sortir de cette impasse.

En attendant, pourquoi se priverait-on de l’opportunit­é de dénoncer la «voie perfide vers l’Alleingang», autrement dit un «schleichen­de Alleingang»?

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D. S. MIÉVILLE

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