Andreas Höfert, disparition d’un «géant»
Le chef économiste d’UBS Wealth Management est soudainement décédé mardi. Il était l’un des plus brillants représentants de sa profession et s’était illustré par son indépendance d’esprit et son engagement pour des idées parfois iconoclastes
Un géant. Physiquement bien sûr, vu sa stature de près de deux mètres qui en imposait d’emblée. Mais, surtout, intellectuellement, comme le décrivent les personnes qui l’ont côtoyé. Avec une capacité exceptionnelle de rendre simples les explications les plus compliquées, les plus jargonnantes. Avec une indépendance d’esprit, une distance par rapport à une matière compliquée, la prévision économique. Et toujours avec bonhomie et affabilité.
Tel était Andreas Höfert, l’un des plus brillants économistes de Suisse, décédé mardi à 48 ans d’une crise cardiaque à New York, métropole où il s’était établi. Chef économiste d’UBS Wealth Management, la division de gestion de fortune privée de la grande banque, il s’était distingué pendant toute sa carrière comme un spécialiste des plus pointus de sa discipline. Tout en manifestant une capacité rare à élargir le débat, à interpeller l’Histoire pour inscrire ses analyses dans le temps long.
«Il n’était pas un économiste bancaire typique», témoigne Daniel Kalt, qui l’a côtoyé de près en tant que chef économiste d’UBS pour la Suisse. «Il était en avance de plusieurs idées sur de nombreux thèmes, sur des questions non seulement économiques, mais aussi politiques et philosophiques», poursuit son collègue.
«Il avait tout de suite compris la crise de 2007»
Son ouverture d’esprit, son intérêt pour les choses du monde, sa compétence reconnue lui ont permis d’affirmer une grande indépendance d’esprit même vis-à-vis de l’institution qui l’employait. «Il était un économiste iconoclaste et manifestait des vues parfois surprenantes», souligne Michel Girardin, professeur de finance à l’Université de Genève. «Cette indépendance d’esprit le rendait d’autant plus intéressant», ajoute le banquier privé genevois Michel Juvet.
Andreas Höfert a-t-il gagné sa liberté de parole, pas toujours évidente dans le monde bancaire, grâce à la sagacité de ses analyses? Ancien collègue, l’économiste Yves Longchamp se souvient qu’«il avait compris tout de suite la gravité de la crise de 2007», celle, précisément, qui a manqué d’emporter UBS l’année suivante.
Cette acuité de vues l’a amené à défendre des points de vue engagés. Comme la création d’un fonds souverain en utilisant une partie des réserves de change de la BNS. Quitte à mettre son employeur en porte-à-faux avec l’institution qui l’avait sauvé. «Il avait un grand don pour expliquer simplement sa position», reconnaît Jean-Pierre Roth, ancien président de la Banque nationale suisse, qui avait contré le printemps dernier les vues du chef économiste. Mais celles-ci lui auraient-elles coûté la pleine et entière adhésion de ses pairs? Il n’apparaît pas au classement des 20 économistes les plus influents de Suisse publié en septembre dernier par la NZZ.
Né à Meyrin, en banlieue genevoise, de parents allemands venus travailler au CERN, il renonce à une carrière de physicien pour se tourner vers la philosophie, qu’il étudie au Collège Rousseau. Puis, hésitant entre cette matière et les mathématiques, il choisit ce qui lui paraît comme une option médiane, l’économie. Et consacre quatre ans à des études à l’Université de SaintGall, d’où il ressort avec le titre de docteur.
Après un post-doctorat à Rochester, aux Etats-Unis, il s’installe à Zurich, où il est embauché au KOF, l’Institut de recherches conjoncturelles de l’EPFZ. «Ce passage a fait de lui un excellent connaisseur de l’économie suisse», relève JeanPierre Roth.
En 1999, Andreas Höfert quitte le monde académique pour la banque et fait son entrée chez UBS en tant qu’économiste confirmé. Il grimpe rapidement les échelons pour accéder à sa dernière fonction en 2012. Il réside en alternance à Zurich et à New York, deux pôles essentiels de la grande banque. Et passe une grande partie de son temps dans les avions pour donner des conférences et aller à la rencontre des clients.
Grand amateur de photographie, Andreas Höfert publiait régulièrement sur Facebook des images des lieux qu’il était amené à visiter. Des vues parfois décalées, pleines d’humour ou d’ironie, à l’image de son personnage. Sa dernière photo, mise en ligne dimanche, montrait un paysage urbain très noir, qui n’a pas manqué d’interpeller les personnes qui le connaissaient de près. Yves Longchamp, qui l’avait vu quelques jours plus tôt, témoigne d’un personnage «plein de vie, drôle, pétillant».
Mardi, son épouse Jacqueline n’a pu qu’invoquer, sur Facebook, «le souvenir que je garderai de lui, un grand géant tendre, mais aussi un observateur féroce de notre société et de ses rouages économiques, une intelligence acérée cachée derrière une grande modestie.»
«Il avait un grand don pour expliquer simplement sa position» JEAN-PIERRE ROTH, ANCIEN PRÉSIDENT DE LA BANQUE NATIONALE SUISSE