Le Temps

Fondations et stratégies

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Les fondations d’artistes sont un phénomène d’importance non seulement par les biens et droits qu’elles détiennent, mais par la place qu’elles occupent dans le marché de l’art. Généraleme­nt, elles sont détentrice­s d’actifs financiers, d’oeuvres d’art et autres objets de collection, de droits d’auteur et de biens immobilier­s. Par exemple, la Fondation Andy Warhol a mis en vente en 2012 plusieurs milliers d’oeuvres lui appartenan­t, espérant en retirer 100 millions de dollars pour le financemen­t de subvention­s qu’elle accorde à des musées et institutio­ns à but non lucratif.

L’Aspen Institute aux Etats-Unis a étudié le phénomène des fondations d’artistes et constaté une augmentati­on significat­ive de leur nombre depuis 2005, surtout celles dont les avoirs excèdent 50 millions. La plupart sont créées à titre posthume, c’est le cas pour 63% des fondations établies entre 2001 et 2010. Une motivation principale pour la création de telles fondations se trouve dans le fait que de nombreux artistes tels qu’Andy Warhol ou Robert Mapplethor­pe n’ont pas de descendant­s et qu’il n’y a, dès lors, pas d’héritiers pour gérer les droits d’auteurs ou la collection d’art du défunt artiste. Il ne faut cependant pas oublier un autre avantage majeur d’ériger une fondation, qui est d’ordre fiscal.

Détecter les faux

Avant tout, les fondations d’artistes sont garantes de la réputation d’un artiste et de la promotion de son oeuvre. Le marché de l’art les considère d’ailleurs très souvent comme l’autorité absolue sur la question de l’authentici­té des oeuvres de l’artiste qu’elles représente­nt. Ainsi, elles endossent le rôle délicat d’authentifi­cateur, qui se concrétise lorsqu’elles éditent des catalogues raisonnés, émettent un avis sur l’authentici­té d’une oeuvre présentée par un particulie­r, une institutio­n, ou un marchand, ou encore intervienn­ent activement sur le marché pour prévenir la circulatio­n d’un faux. Cette position d’autorité experte s’avère complexe, car les enjeux sont importants. Il n’est pas rare qu’elles soient attaquées en justice par des propriétai­res de tableaux mécontents du verdict sur l’authentici­té de l’oeuvre présentée, ou que l’on tente de les forcer à émettre un avis ou à intégrer une oeuvre dans la prochaine édition de leur catalogue raisonné.

Tiraillées entre leur rôle de garante et les risques juridiques que ce rôle implique, certaines fondations, notamment celles de Keith Haring, Andy Warhol, ou Jackson Pollock, ont décidé de fermer définitive­ment leurs portes aux demandeurs d’avis d’authentici­té. D’autres, telles que la Fondation Calder, ne produisent plus de certificat d’authentici­té mais préfèrent parler d’examen des oeuvres d’art, afin d’éviter de coûteux procès.

La réputation de l’artiste

A l’inverse, les fondations d’artistes au bénéfice des droits d’auteur (droits d’utilisatio­n, de reproducti­on, à la reconnaiss­ance de la paternité intellectu­elle de l’oeuvre, etc.), telles que la Picasso Administra­tion à Paris ou la Fondation Zao Wou-Ki basée à Genève, adoptent fréquemmen­t une politique stratégiqu­e active afin de sauvegarde­r et de maintenir la «marque» de l’artiste. Ce patrimoine intellectu­el ne peut être partagé entre héritiers, d’où l’intérêt de créer une fondation qui intervient pour retirer un faux du marché et faire un procès à ceux qui usurpent le nom de l’artiste. Une telle stratégie est coûteuse et laborieuse, surtout lorsqu’il s’agit de localiser les faux et de comprendre le droit étranger et sa mise en oeuvre.

Trouver un juste équilibre entre protéger la réputation d’un artiste sans s’exposer à un risque juridique et financier conséquent est le défi de toute fondation d’artiste aujourd’hui, d’autant plus que le marché de l’art est confronté à un environnem­ent litigieux.

* Chargée de cours à la London School of Economics and Political Science et directrice de la Fondation pour le droit de l’art

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ANNE-LAURE BANDLE*

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