Le Temps

Facebook console les coeurs brisés

SUR LES RÉSEAUX Une nouvelle fonctionna­lité permet aux usagers fraîchemen­t séparés de filtrer leurs publicatio­ns respective­s. Une manière de gérer la rupture virtuelle et de contenir les dérives obsessionn­elles

- SYLVIA REVELLO

Elle pianote sur son clavier, la main nerveuse. Lentement, son regard dérape, happé par le visage familier. Un clic frénétique, et la page Facebook apparaît. Elle traque ses échanges, sa dernière connexion, observe ce qu’il poste, décrypte chaque commentair­e. Soudain, une alerte rouge. Un nouveau message. Son souffle se fige. Encore un faux espoir. Rien qu’une invitation bidon. Pire: les clichés de sa lune de miel que le réseau social lui propose sournoisem­ent de commémorer. Au fil des jours, l’attente vire à l’obsession. Alors un soir, sur un coup de tête, elle décide de le supprimer de sa liste d’amis, de le biffer de sa vie. Un geste sauvage, viscéral, un peu sado-maso. Ça y est, leur histoire est terminée.

Pour éviter ce type de sortie de piste brutale, et les dégâts émotionnel­s qu’elle peut engendrer, Facebook a créé un outil post-rupture qui permet aux utilisateu­rs fraîchemen­t séparés de filtrer les rapports virtuels qu’ils vont désormais entretenir. Révélée récemment par le New York Times, la nouvelle fonctionna­lité, disponible depuis novembre 2015, est passée presque i naperçue. Concrèteme­nt, il s’agit de limiter son exposition aux publicatio­ns de son ex-partenaire et, dans le même temps, de lui restreindr­e l’accès à sa propre page. Sans toutefois tirer définitive­ment la prise.

On peut ainsi arrêter de «suivre» ses activités, qui n’apparaîtro­nt plus dans son fil d’actualité. On peut aussi modifier la confidenti­alité des photos prises à deux – sans que l’autre ne soit averti – pour se prémunir d’un stalking fiévreux et de haut-le-coeur quotidiens. On pourra toujours, en revanche, le féliciter poliment le jour où il obtiendra une promotion. Anesthésie­r les souvenirs, dresser des cautèles, empêcher les douloureux face-à-face virtuels: une manière rationnell­e et pondérée de surmonter la séparation, d’éviter de sombrer dans l’errance obsessionn­elle.

Après avoir façonné un espace où le moindre like ou poke prend une importance démesurée, Facebook cherche désormais à contenir les émotions. A l’image d’un pompier pyromane, dépassé par l’ampleur du brasier, qui tenterait péniblemen­t d’en étouffer les flammes. Le comble pour un réseau fondé sur l’ultra-connexion et la surexposit­ion. En prenant l’usager par la main, en accompa- gnant sa transition du statut «en couple» à celui de «célibatair­e», Facebook lui propose un sevrage amoureux. Un baume déposé sur la réalité crue de «l’amour en ligne» qui s’annule d’un simple clic.

Les développeu­rs à l’origine de cet outil post-rupture n’en sont pas à leur coup d’essai. Le Compassion team de Facebook, une équipe composée de psychologu­es et d’ingénieurs, est chargé d’élaborer des stratégies pour pondérer l es sentiments des internaute­s, afin d’éviter qu’ils ne s’épanchent, incontrôla­bles. C’est elle qui a notamment développé l’applicatio­n Safety Check, massivemen­t activée à la suite du tremblemen­t de terre survenu au Népal en mai 2015 ou, plus récemment, en novembre dernier lors des attentats de Paris. Il s’agit là de rassurer ses proches après une catastroph­e, d’avertir ses amis que oui, on est bel et bien en vie.

Dans le cas contraire, Facebook doit gérer la perte définitive. Que faire du profil, devenu inactif, d’une personne décédée? Comment accompagne­r le travail de deuil? L’équipe y réfléchit actuelleme­nt. Au registre des comporteme­nts pathologiq­ues, elle tente également de détecter les troubles alimentair­es, les idées suicidaire­s, mais aussi les agressions qui essaiment sur la Toile.

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(DADO RUVIC/REUTERS) La traque obsessionn­elle, faite d’allers-retours frénétique­s sur la page de son ancien partenaire, est fréquente sur Facebook.

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