Le Temps

Le retour de Lula provoque une crise politique aiguë

En voulant intégrer son mentor dans le gouverneme­nt pour bénéficier d’une impunité, la présidente Rousseff pourrait être mise en cause pour «faute»

- CHANTAL RAYES, SÃO PAULO

C’est la fin d’un mythe. Même les adversaire­s de Luiz Inácio Lula da Silva n’auraient pu imaginer un tel scénario. L’ex-président du Brésil (2003-2011), qui avait quitté le pouvoir auréolé de gloire, le chef historique du Parti des travailleu­rs (PT), acclamé dans le monde entier, est aujourd’hui soupçonné de corruption et tente d’échapper à la prison! Mercredi, trois jours après les manifestat­ions qui avaient réuni au moins 1,5 million de personnes contre le PT, Lula était nommé au poste de chef de cabinet de sa protégée, la présidente Dilma Rousseff. Son entrée en fonction, le lendemain, a été provisoire­ment suspendue par un juge de Brasília.

Lula est accusé, en acceptant ce portefeuil­le, de chercher à se soustraire à l’implacable Sergio Moro, le magistrat en charge de l’enquête sur le Petrolão: un scandale de détourneme­nt de fonds de Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, au profit du PT, au pouvoir depuis treize ans, et de deux de ses alliés. En cause dans l’affaire, l’ex-président aurait bénéficié des largesses d’entreprise­s du BTP accusées d’avoir surfacturé leurs contrats avec Petrobras pour financer la coalition au pouvoir: entre autres, quelque 30 millions de réals (8 millions de francs) versés par certaines de ces entreprise­s à l’institut Lula et à une société dont il est partenaire. Lula est visé par une demande de mise en examen et de détention préventive émanant du parquet et sur laquelle Sergio Moro devait en principe se prononcer. Or, les ministres sont jugés, non par les juridictio­ns de droit commun, mais par la Cour suprême, réputée plus lente et moins sévère.

Rendu public par Sergio Moro, l’enregistre­ment par la police fédérale d’une conversati­on entre l’actuelle cheffe de l’Etat et son prédécesse­ur, tenue mercredi, semble confirmer la manoeuvre. Il est 13h32 quand Dilma Rousseff appelle son mentor, à ce stade, déjà retenu comme son futur ministre. Elle lui annonce qu’elle lui fait porter son décret de nomination. «Tu ne t’en serviras que si nécessaire», précise-t-elle. Pour l’opposition, c’est la preuve que l’un des objectifs de la nomination de Lula est d’échapper à la justice, d’autant que sa prise de fonctions avait été opportuném­ent anticipée pour jeudi.

Le PT dénonce une chasse aux sorcières de la justice, orchestrée par «le camp conservate­ur», pour mettre son héros hors-jeu pour la présidenti­elle de 2018. «Désormais, même ses partisans ont la puce à l’oreille», résume un éditoriali­ste. «Quel gâchis!, répète Antonio, un supporter. Lula aurait pu entrer dans l’histoire.» Lui, l’enfant pauvre qui a «failli mourir de faim». L’ex-ouvrier tourneur à l’auriculair­e sectionné dans un accident de travail, puis le leader syndical qui défia la dictature militaire à coup de grèves monstre. Enfin, l’homme d’Etat dont l’irrésistib­le aura incarna un Brésil conquérant, mais solidaire.

Procédure de destitutio­n relancée

Lula ne fait pas (pas encore?) l’objet de poursuites. Mais l’extraordin­aire résilience de cet animal politique – il essuya trois défaites successive­s avant de se faire élire, fin 2002 – est plus que jamais à l’épreuve. «S’il est arrêté, il est un homme mort et il emportera dans sa chute le PT et toute la gauche, analyse le sociologue Ruda Ricci. En revanche, s’il est blanchi, il peut rebondir.»

Entre-temps, la levée par Sergio Moro du secret sur l’enregistre­ment de la conversati­on entre Lula et Dilma Rousseff fait passer la crise à un autre palier. Car désormais, la présidente pourrait être mise en cause pour «faute», ce qui précipiter­ait sa chute. L’opposition demande déjà sa démission. Hier, la procédure de sa destitutio­n par le Congrès, suspendue depuis le mois de décembre, a été relancée au parlement.

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