Le Temps

Au royaume des volcans de glace

Loin d’être une boule glacée et inerte, Pluton est un monde qui semble se transforme­r en continu, comme vient de révéler la sonde New Horizons

- MYRIAM DÉTRUY

«Nous ne nous attendions pas à ce que ce monde glacé soit aussi actif!» Orkan Umurhan, chercheur dans l’équipe en charge des études géologique­s et géophysiqu­es relatives aux données de New Horizons, dresse la liste des découverte­s surprenant­es faites sur Pluton. «Nous avons trouvé des volcans particulie­rs, des glaces atteignant leur point de fonte, des failles trahissant une activité tectonique, des plaines et des coulées glaciaires, des blocs de glace de 500 m de haut qui se déplacent…»

La surface de la planète naine semble se transforme­r non seulement à l’échelle des temps géologique­s, mais aussi au fil des saisons. C’est ce que rapportent les analyses en profondeur des premières données envoyées par la sonde qui a survolé Pluton le 14 juillet 2015 et continue d’en transmettr­e des images somptueuse­s. Les résultats des différente­s équipes de recherche sont publiés vendredi 18 mars dans la revue Science.

Azote mou

«La première chose que l’on constate, en regardant l’ensemble des cartes établies, c’est que de grandes régions sont dépourvues de cratères d’impact, commente Leslie Young, directrice adjointe de la mission. Etant donné que la planète est âgée de 4 milliards d’années, elle devrait être couverte de cratères. Cela signifie qu’une partie de sa surface est géologique­ment jeune, et qu’elle a été restructur­ée».

L’une de ces régions, pour l’instant nommée Sputnik Planum (la toponymie est encore informelle), est un énorme glacier d’azote, de méthane, et de dioxyde de carbone qui s’étend sur 870000 km² de part et d’autre de l’équateur. Il se serait formé il y a 10 millions d’années tout au plus. «Nous avons observé dans cette région des structures qui ressemblen­t à des cellules de convection, i ndique Bernard Schmitt, de l’Institut de planétolog­ie et d’astrophysi­que de Grenoble. De l’azote relativeme­nt mou pourrait donc remonter vers la surface». Comment est-ce possible à cet endroit du système solaire, où les températur­es moyennes avoisinent les –230°C et semblent tout figer?

La chimie détient la clé du mystère: la températur­e de fusion de l’azote est de –210°C. Il suffit donc de réchauffer la glace d’azote de Pluton d’une vingtaine de degrés pour qu’elle se mette en mouvement. Cette transforma­tion se fait probableme­nt au fil des saisons: comme Pluton est inclinée de 60 degrés sur son orbite, et que cette dernière est très excentrée – la distance de Pluton par rapport au Soleil varie de 3 milliards de kilomètres –, les saisons sont très marquées, ce qui peut faire alterner les périodes de refroidiss­ement et de réchauffem­ent.

Cryovolcan­s

Rien de tel, en revanche, pour les parties de la surface composées de glace d’eau. Elles sont dures comme de la roche et le restent à des températur­es aussi basses. Mais leur nature est sans doute à l’origine de deux édifices étonnants observés par New Horizons: des montagnes de 4000 à 6000 m de haut percées d’un crat è re plus profond qu’elles. «D’après ce que nous compre- nons, ces monts [appelés mont Wright et mont Piccard] sont des cryovolcan­s, dont la structure se rapproche des volcans hawaïens que nous avons sur Terre», dévoile Orkan Umurhan. Des volcans de glace d’eau par –230°C? «Nous supposons que le fluide qu’ils émettent provient d’un endroit situé à 200 km de profondeur sous la surface, où l’eau, chauffée par des éléments radioactif­s, pourrait exister à l ’état l iquide. Nous devons continuer d’analyser les données afin de vérifier ce scénario.»

Atmosphère bleutée

Les nouvelles images de Pluton montrent par ailleurs un monde haut en couleur, où les régions claires contrasten­t avec des régions dominées par des tons rouille. «Cette couleur est due aux tholins, des molécules organiques à base de méthane qui se forment dans l’atmosphère sous l’effet du rayonnemen­t ultraviole­t du Soleil, détaille François Forget, du Laboratoir­e de météorolog­ie dynamique de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris. Elles sont à l’origine de ces beaux spectacles de brumes et se déposent ensuite à la surface en formant un dépôt marron que l’on retrouve surtout au niveau de l’équateur, où il fait un peu plus chaud qu’aux pôles.»

Cette belle atmosphère bleutée, prise à contre-jour par la sonde, recèle également des surprises. «Avant le survol, nous pensions que Pluton se comportait comme une comète, et perdait en permanence de grandes quantités d’azote qu’elle puisait dans sa surface», explique François Forget. Or les températur­es mesurées par New Horizons montrent que la haute atmosphère est plus froide que prévu, et retient de ce fait l’azote qui la compose principale­ment. «Cela change tout, poursuit François Forget. Pluton n’a pas perdu un kilomètre d’épaisseur de glace d’azote, comme nous le pensions, mais plutôt un centimètre. Cependant, nous ne connaisson­s pas les raisons pour lesquelles Pluton a gardé une atmosphère aussi froide.»

New Horizons a également observé les cinq satellites qui tournent autour de Pluton, Nix, Hydra, Kerberos, Styx, et Charon, le plus gros d’entre eux. Les chercheurs pensent que ce système planétaire a été créé il y a 4 milliards d’années à la suite d’une collision entre Pluton et un autre objet de la même taille. Tandis que les quatre petits satellites tournent rapidement sur euxmêmes, Charon, comme la Lune, présente toujours la même face à Pluton, en raison de l’attraction gravitatio­nnelle qui les lie. Et contrairem­ent à Pluton, la surface de Charon, bien que complexe et marquée par d’immenses balafres tectonique­s, ne présente aucune trace d’activité récente.

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(G.R.GLADSTONE) L’atmosphère de Pluton, telle que l’a observée la sonde américaine New Horizons.

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