Le Temps

Thomas Lüthi court toujours après «sa» saison

La Suisse attend toujours un nouveau coup d’éclat du champion du monde 2005, et lui aussi. Pour y arriver, il a changé ses habitudes cet hiver

- LIONEL PITTET

Cela fait désormais onze ans. Thomas Lüthi a à peine 19 ans quand il remporte le Championna­t du monde de motocyclis­me, catégorie 125 cm³. Il n’est que le troisième Suisse à y parvenir, après Stefan Dörflinger dans les années 1980 et Luigi Taveri dans les années 1960. Pour tout un pays, il devient le Petit Prince de la moto alors que ça ne fait que trois saisons qu’il roule à ce niveau.

Dix saisons plus tard, le Petit Prince est devenu une grande personne – il fêtera ses 30 ans en septembre – mais il occupe toujours une place à part dans le coeur des Suisses qui s’intéressen­t aux sports mécaniques. Même s’il est depuis resté à l’écart de la course au titre. On l’associe immanquabl­ement à l’enthousias­me sans limite de Bernard Jonzier, qui commentait ses exploits pour ce qui s’appelait encore la TSR, on vante son talent de pilotage hors norme. Et puis, chaque année, on se pose cette question qu’amènent la fin de l’hiver et le début des épreuves motocyclis­tes: et si c’était – enfin, à nouveau – sa saison?

Le podium, un chemin

Depuis 2010 et l’avènement de la catégorie Moto2, le Bernois ne démérite pas. Il oscille entre la quatrième et la sixième place du classement général final. Mais c’est toujours du titre qu’il rêve, en 2016 comme d’habitude. A l’heure du premier Grand Prix de la saison, dimanche à Doha (Qatar), le patron de son team, Fred Corminboeu­f, annonce comme objectif officiel le podium. Mais le pilote répète d’interview en interview que c’est un chemin, pas une destinatio­n: «Johann Zarco a montré la saison dernière que c’est en étant presque à chaque fois sur le podium qu’on remportait le titre.» En 2015, le Français était monté quatorze fois sur la boîte, Lüthi seulement quatre (une victoire) en 18 courses. Il a donc un vrai cap à franchir.

Rien d’évident à cela. «Il n’y a pas plus concurrent­iel que la Moto2, contextual­ise Fred Corminboeu­f. Chaque année, les médias parlent de Tom comme d’un favori, mais ils oublient qu’il y a au moins dix pilotes qui peuvent légitimeme­nt prétendre à devenir champion du monde.» Des quatre qui ont terminé devant Thomas Lüthi la saison dernière, trois sont encore là; seul l’Espagnol Esteve «Tito» Rabat a trouvé de l’embauche en MotoGP, la catégorie reine. Derrière, d’autres sont aussi menaçants, à commencer par son coéquipier Dominique Aegerter. Sa 17e place au général l’an dernier ne dit rien du concurrent qu’il est. Ses cinquièmes rangs en 2014 et 2013 beaucoup plus.

Apprivoise­r la bête

Pour sortir du lot, Thomas Lüthi a rompu avec ses habitudes durant l’hiver. Habitué à « oublier » sa moto pour quelque temps quand d’autres pilotes gardent la main en faisant beaucoup de motocross, il a cette fois roulé davantage, notamment avec sa Kalex. Il a adopté cette moto la saison dernière après cinq ans sur une Suter, sans avoir le temps de vraiment l’apprivoise­r. «L’hiver dernier, nous avions prévu une vingtaine de jours de tests, mais les conditions météo ont joué contre nous et nous n’avions pu en faire que trois, se rappelle Fred Corminboeu­f. Ce qu’on ne met pas en place à ce moment, on ne le fait plus après.»

Or, d’une moto à une autre, la transition n’a pas été si évidente que prévu, même si Lüthi a vite dit se sentir à l’aise sur sa nouvelle monture. «Monter dessus et se faire plaisir est une chose, battre des records de tour en est une autre, tranche Fred Corminboeu­f. Du coup, cet hiver, nous avons beaucoup travaillé sur le pilotage de Tom. Cela peut paraître étonnant compte tenu de son vécu, mais il faut savoir se remettre en question pour avancer.»

Le principal changement, au sein des teams CarXpert Interwette­n et Garage Plus Interwette­n (qui regroupent sous un même toit les trois pilotes suisses, Thomas Lüthi, Dominique Aegerter et Robin Mülhauser) concerne les chefs techniques. Ces hommes de l’ombre sont au contact direct des pilotes, avec lesquels ils établissen­t les réglages précis de la moto. Thomas Lüthi travaille désor- mais avec Gilles Bigot, qui a laissé sa place auprès de Dominique Aegerter à Florian Chiffoleau, tandis que Julien Maréchal, ancien mécanicien de Lüthi, a été promu comme chef technique de Robin Mülhauser.

«Tout le monde avait besoin de fraîcheur, de nouvelles idées, commente Fred Corminboeu­f. Cela faisait cinq ans que Tom et Dom travaillai­ent chacun avec la même personne.» Très expériment­é, Gilles Bigot apporte calme et sérénité à Lüthi; plus jeune, le Français Florian Chiffoleau booste Aegerter avec une approche «à l’américaine». Deux méthodes différente­s, mais des objectifs convergent­s: rapprocher le plus possible les deux hommes du podium. Pour l’heure, avantage à Lüthi, qui a terminé 5e des essais de Jerez début mars et 2e de ceux de Doha il y a quelques jours, pendant qu’Aegerter finissait 6e et 14e.

En vacances ensemble

Plus jeune que ses deux coéquipier­s, Robin Mülhauser (22 ans) doit pour sa part s’affirmer en Moto2 après une saison où il n’est entré qu’une seule fois dans les points. Au sein de la structure 100% suisse qui réunit les trois pilotes depuis la saison dernière, Fred Corminboeu­f assure que tout le monde s’entend comme larrons en foire. «Ils sont partis tous les trois en vacances ensemble après le Championna­t 2015, glisse le patron. Après, forcément qu’ils sont en concurrenc­e et qu’ils veulent se battre les uns les autres. Si Tom et Dom sont à la lutte pour le podium, cela va forcément être plus tendu.»

Le Zurichois Jesko Raffin (19 ans) est le quatrième Suisse de la catégorie Moto2. Il y disputera sa deuxième saison complète au sein de l’équipe espagnole Stop and Go Racing Team. En 2015, il n’est jamais entré dans les points.

 ?? (VINCENT GUIGNET/FRESHFOCUS) ?? Thomas Lüthi est prêt à entamer une nouvelle saison. Cet hiver, il a changé de monture. Forcé de s’adapter, il a dû plus travailler son pilotage. Une manière de progresser pour 2016.
(VINCENT GUIGNET/FRESHFOCUS) Thomas Lüthi est prêt à entamer une nouvelle saison. Cet hiver, il a changé de monture. Forcé de s’adapter, il a dû plus travailler son pilotage. Une manière de progresser pour 2016.

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