Le Temps

« La baisse de la demande aux sociétés américaine­s préoccupe la Fed »

Pour Jean- Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC, la Réserve fédérale américaine reste déterminée à poursuivre son resserreme­nt monétaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE CHARREL ( LE MONDE)

Le mercredi 16 mars, la Réserve fédérale américaine ( Fed) a opté pour le statu quo, en laissant ses taux directeurs inchangés. Son c o mité de pol it i que monétaire estime que la si t uation f i nancière internatio­nale, fragile, représente encore un risque pour l’économie américaine. Décryptage avec Jean- Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC.

Alors qu’elle ne s’en préoccupai­t guère jusque- là, la Fed prend désormais en compte les doutes sur la croissance mondiale pour justifier sa stratégie. Pourquoi?

L’environnem­ent i nternation­al a une influence déterminan­te sur l’économie des Etats- Unis, et ce bien plus qu’autrefois. Le ralentisse­ment de la demande aux entre- prises américaine­s préoccupe la Fed. Tout comme la hausse du dollar face aux autres devises enregistré­e ces derniers mois, qui pénalise les exportateu­rs du pays, et la baisse des cours des matières premières, qui affecte le secteur énergétiqu­e américain. Dit autrement: la Fed ne peut aujourd’hui plus ignorer l’internatio­nalisation des économies.

Repousser encore la hausse des taux ne risque- t- il pas de favoriser la création de bulles ou de générer trop d’inflation?

Il est vrai que, si l’on se fie aux derniers indicateur­s, l’inflation américaine s’est un peu redressée ces dernières semaines. Mais comme la présidente de la Fed, Janet Yellen, l’a souligné, elle devrait rester durablemen­t faible. Si des risques devaient néanmoins se concrétise­r en la matière, elle n’hésitera pas à revoir son calendrier de hausse des taux pour 2016. A ce propos, le message de la conférence de presse du 16 mars est d’ailleurs clair: l’institutio­n reste déterminée à poursuivre son resserreme­nt monétaire, même si elle agit avec prudence.

Le scénario de 1994, où le relèvement des taux américains avait déclenché un krach obligatair­e mondial, peut- il encore se produire?

Je ne le pense pas. A l’époque, la Fed avait pris de court l’ensemble des marchés en remontant ses taux par surprise. Alors qu’elle observait des tensions inflationn­istes depuis un moment, elle n’avait rien dit! La stratégie de l’institutio­n est aujourd’hui très différente – il faut dire que la plupart de ses membres ont étudié le krach de 1994, et ont retenu les leçons. Elle est plus transparen­te. Elle surveille de près les données concernant les prix et, surtout, prend garde à préparer les esprits, en s’assurant que les marchés ont bien intégré sa stratégie dans leurs anticipati­ons. Mme Yellen ne courra jamais le risque de les surprendre. Elle connaît les dangers.

Les Etats- Unis sont sortis de récession il y a six ans déjà. A trop attendre, la Fed ne risque- t- elle pas de se retrouver à court de munitions en cas de nouveau ralentisse­ment du cycle américain?

C’est en effet un risque. Il est d’ailleurs largement débattu au sein de l’institutio­n, comme parmi les économiste­s. De fait, la possibilit­é de baisser les taux directeurs pour soutenir l’économie en cas de besoin est limitée, puisqu’ils évoluent entre 0,25 et 0,50% seulement… Voilà pourquoi, ces derniers temps, plusieurs experts ont souligné que la Fed pourrait dans ce cas passer ses taux en territoire négatif, comme l’ont déjà fait plusieurs de ses homologues. Elle pourrait également avoir de nouveau recours aux rachats de dettes publiques. Dans tous les cas, une chose est sûre: il convient de rester prudent sur le sujet. Chaque fois que l’on redoute que les banques centrales soient à court de munitions, elles en déploient de nouvelles. Le 10 mars, la Banque centrale européenne a ainsi surpris en lançant de nouveaux prêts géants aux banques, les « TLTRO » . Il ne faut jamais douter de la créativité des instituts monétaires…

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JEAN- LOUIS MOURIER ÉCONOMISTE CHEZ AUREL BGC

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