Les excuses de «Bilan»: trop facile!
Les médias sont donneurs de leçons. Trop souvent, ils désignent, dénoncent, accusent, condamnent avant la justice. C’est leur rôle d’informateur d’être à l’affût mais c’est leur honneur aussi de mesurer les enjeux et de se taire tant que les faits ne sont pas avérés. Lors du suicide dramatique de Benoît Violier, et au lendemain de ses funérailles, le magazine économique Bilan publiait un article qui laissait entendre que le départ prématuré du grand chef était lié à des pertes d’argent importantes dans une escroquerie dont il aurait été victime, parmi d’autres grands cuisiniers et gens plus ou moins fortunés. Le texte employait prudemment le conditionnel et usait de précautions oratoires. La rédactrice en chef et signataire de l’article a précisé depuis qu’il avait été préalablement soumis à un avocat, ceci expliquant cela. Dans l’esprit des lecteurs, il ne faisait aucun doute que les éléments avancés étaient fiables. Ils expliquaient admirablement l’inexplicable. Répondaient à la curiosité insatisfaite de tous. Rendaient plausible une mort dérangeante. Le cas semblait réglé, tous les médias suisses et internationaux ayant largement repris le scoop. Pourtant, les démentis arrivèrent très vite, dont celui du procureur général du Valais, affirmant que le défunt n’apparaissait ni comme acteur, ni comme victime, ni comme témoin dans l’affaire B. en cours d’instruction. Puis un des actionnaires du restaurant, le très sérieux André Kudelski, affirma avoir contrôlé les chiffres de l’établissement sans y constater aucune trace d’irrégularité. Enfin, la veuve apporta un démenti catégorique à ces «mensonges» dans une interview accordée à L’Illustré. Mais qui ment? se demandaient encore les lecteurs?
Face à ces dénégations, à mi-février déjà, Bilan présentait ses excuses à la famille et aux proches de Benoît Violier, ainsi qu’à l’ensemble de ses lecteurs, pour «l’élaboration inaboutie» de son article initial. Pourtant, à ce moment-là, les médias se sont bien gardés de faire écho à ce texte. Eux qui avaient immédiatement relayé le scoop du magazine n’ont pas jugé utile d’informer leurs lecteurs qu’il était faux. Tous pourtant ne lisent pas Bilan! Ce silence interpelle car, si un politicien ou un chef d’entreprise avait commis une faute similaire, aussi lourde de conséquences humaines et économiques, on imagine les gros titres et les éditoriaux sans aménité qui se seraient ensuivis! La responsabilité sociale du monde économique dont on nous rebat les oreilles ne concernerait-elle pas les éditeurs? Ce n’est donc que ce mardi, près de six semaines après ses affirmations hasardeuses, que Bilan publie enfin un démenti circonstancié. Il explique que «PricewaterhouseCoopers (PWC), la société d’audit chargée des comptes du Restaurant de l’Hôtel de Ville Benoît Violier SA, nous a certifié que ni le défunt, ni l’établissement n’avaient de relation d’affaires avec B. connue et avérée». Cette fois-ci, la profession a repris l’information, mais sans lui accorder la même ampleur qu’à la révélation fallacieuse initiale. Et, surtout, sans manifester d’esprit critique alors que l’indignation est palpable chez les lecteurs.
Il ressort de cette déplorable histoire que Bilan, qui s’intitule pourtant «La référence suisse de l’économie», reste impuni alors qu’il a commis une faute déontologique grave. Un tort irréparable a été fait à la réputation d’un homme car les médias internationaux qui avaient largement propagé la nouvelle erronée ne se sont pas empressés de la contredire. L’actualité est passée! Les regrets présentés du bout des lèvres par la rédactrice en chef à la famille et au prestigieux restaurant n’y changent rien. Ils sont presque indécents tant le coeur n’y est pas, et tant l’impunité du titre semble assurée. Pourvu, au moins, que la leçon serve pour une prochaine fois!