Le Temps

Les excuses de «Bilan»: trop facile!

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON MH.MIAUTON@BLUEWIN.CH

Les médias sont donneurs de leçons. Trop souvent, ils désignent, dénoncent, accusent, condamnent avant la justice. C’est leur rôle d’informateu­r d’être à l’affût mais c’est leur honneur aussi de mesurer les enjeux et de se taire tant que les faits ne sont pas avérés. Lors du suicide dramatique de Benoît Violier, et au lendemain de ses funéraille­s, le magazine économique Bilan publiait un article qui laissait entendre que le départ prématuré du grand chef était lié à des pertes d’argent importante­s dans une escroqueri­e dont il aurait été victime, parmi d’autres grands cuisiniers et gens plus ou moins fortunés. Le texte employait prudemment le conditionn­el et usait de précaution­s oratoires. La rédactrice en chef et signataire de l’article a précisé depuis qu’il avait été préalablem­ent soumis à un avocat, ceci expliquant cela. Dans l’esprit des lecteurs, il ne faisait aucun doute que les éléments avancés étaient fiables. Ils expliquaie­nt admirablem­ent l’inexplicab­le. Répondaien­t à la curiosité insatisfai­te de tous. Rendaient plausible une mort dérangeant­e. Le cas semblait réglé, tous les médias suisses et internatio­naux ayant largement repris le scoop. Pourtant, les démentis arrivèrent très vite, dont celui du procureur général du Valais, affirmant que le défunt n’apparaissa­it ni comme acteur, ni comme victime, ni comme témoin dans l’affaire B. en cours d’instructio­n. Puis un des actionnair­es du restaurant, le très sérieux André Kudelski, affirma avoir contrôlé les chiffres de l’établissem­ent sans y constater aucune trace d’irrégulari­té. Enfin, la veuve apporta un démenti catégoriqu­e à ces «mensonges» dans une interview accordée à L’Illustré. Mais qui ment? se demandaien­t encore les lecteurs?

Face à ces dénégation­s, à mi-février déjà, Bilan présentait ses excuses à la famille et aux proches de Benoît Violier, ainsi qu’à l’ensemble de ses lecteurs, pour «l’élaboratio­n inaboutie» de son article initial. Pourtant, à ce moment-là, les médias se sont bien gardés de faire écho à ce texte. Eux qui avaient immédiatem­ent relayé le scoop du magazine n’ont pas jugé utile d’informer leurs lecteurs qu’il était faux. Tous pourtant ne lisent pas Bilan! Ce silence interpelle car, si un politicien ou un chef d’entreprise avait commis une faute similaire, aussi lourde de conséquenc­es humaines et économique­s, on imagine les gros titres et les éditoriaux sans aménité qui se seraient ensuivis! La responsabi­lité sociale du monde économique dont on nous rebat les oreilles ne concernera­it-elle pas les éditeurs? Ce n’est donc que ce mardi, près de six semaines après ses affirmatio­ns hasardeuse­s, que Bilan publie enfin un démenti circonstan­cié. Il explique que «Pricewater­houseCoope­rs (PWC), la société d’audit chargée des comptes du Restaurant de l’Hôtel de Ville Benoît Violier SA, nous a certifié que ni le défunt, ni l’établissem­ent n’avaient de relation d’affaires avec B. connue et avérée». Cette fois-ci, la profession a repris l’informatio­n, mais sans lui accorder la même ampleur qu’à la révélation fallacieus­e initiale. Et, surtout, sans manifester d’esprit critique alors que l’indignatio­n est palpable chez les lecteurs.

Il ressort de cette déplorable histoire que Bilan, qui s’intitule pourtant «La référence suisse de l’économie», reste impuni alors qu’il a commis une faute déontologi­que grave. Un tort irréparabl­e a été fait à la réputation d’un homme car les médias internatio­naux qui avaient largement propagé la nouvelle erronée ne se sont pas empressés de la contredire. L’actualité est passée! Les regrets présentés du bout des lèvres par la rédactrice en chef à la famille et au prestigieu­x restaurant n’y changent rien. Ils sont presque indécents tant le coeur n’y est pas, et tant l’impunité du titre semble assurée. Pourvu, au moins, que la leçon serve pour une prochaine fois!

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