Le Temps

L’art de la guerre d’Obama

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Comment les historiens jugeront la date du 30 août 2013, ce jour où Barack Obama renonça à bombarder la Syrie de Bachar el-Assad alors qu’il venait de franchir la ligne rouge fixée par le président américain un an plus tôt, à savoir l’utilisatio­n de gaz contre sa population? Soulignero­nt-ils que Barack Obama a empêché son pays de s’embourber dans une nouvelle guerre civile au sein du monde musulman tout en neutralisa­nt des armes chimiques qui menaçaient Israël, la Turquie et la Jordanie? Ou retiendron­t-ils que ce fut le jour où le MoyenOrien­t échappa au contrôle américain pour tomber sous celui de la Russie, de l’Iran et de l’État islamique?

Ces interrogat­ions – et bien d’autres –, le journalist­e américain Jeffrey Goldberg les a partagées avec Barack Obama lui-même au cours de nombreuses conversati­ons durant plusieurs années. Il en a livré un compte rendu pour le magazine The Atlantic dans un article i ntitulé « La doctrine Obama». Un exercice rare pour un président en fonction, mais dont on comprend qu’il est très soucieux de sa place dans l’histoire. Disons tout de suite que, trois ans plus tard, Obama reste serein par rapport à son choix de ne pas attaquer la Syrie. S’il l’est, c’est que sa décision résulte d’une lecture lucide des rapports de force, de la position des Etats-Unis dans le monde ainsi que des objectifs qu’il s’est fixés.

Jeffrey Goldberg ne nous dit en fait rien de très nouveau sur la doctrine Obama. Ce dernier l’avait articulée à plusieurs reprises, en particulie­r devant l’Assemblée générale des Nations unies. Ces 70 pages d’enquête et de confidence­s éclairent par contre un style de pouvoir, l’articulati­on d’une pensée et en définitive la nature d’un stratège hors du commun par les temps qui courent. Le président américain s’y montre presque plus dur envers ses alliés – qui ne sont pas à la hauteur (les Européens) ou qui ne défendent pas les mêmes valeurs (les autocrates arabes) – qu’envers ses concurrent­s chinois ou russe.

Aux yeux de Barack Obama, les principaux défis d’aujourd’hui sont l’intégratio­n de la Chine dans le système internatio­nal d’une part et la lutte contre le réchauffem­ent climatique d’autre part. Les manoeuvres de Vladimir Poutine apparaisse­nt comme les derniers soubresaut­s d’un leader mal inspiré à la tête d’une puissance en déclin. Quant au Proche-Orient, son poids est devenu secondaire depuis la révolution énergétiqu­e qui a permis aux Etats-Unis de s’extraire de sa dépendance aux hydrocarbu­res arabes.

Barack Obama pense dans le temps long. Une façon de lire le monde qui surprend d’autant plus qu’en Europe, nos leaders démocratiq­ues sont devenus prisonnier­s de la dictature de l’immédiatet­é médiatique et politique. Ses démonstrat­ions – contre les interventi­onnistes de tous poils, militaires ou humanitair­es, les experts des think tanks alignés sur Israël ou les Etats du Golfe qui les financent – ne convaincro­nt pas les sceptiques qui tiennent ce président pour un naïf, un faible, un défaitiste, ou au mieux pour un idéaliste ou un fataliste qui précipite la fin de la puissance américaine.

La réalité est que les Etats-Unis sont aujourd’hui dans une position de force et de crédibilit­é bien plus grande qu’il y a huit ans, à l’arrivée de Barack Obama à la Mai- son-Blanche, dans une Amérique ruinée par l’hubris d’une clique d’idéologues – qui pourrait faire un jour son retour.

«Le vrai pouvoir signifie que vous obtenez ce que vous voulez sans devoir exercer la violence», glisse Barack Obama à Jeffrey Goldberg, qui l’interroge sur les interventi­ons russes en Ukraine et en Syrie. Peut-être faut-il relire Sun Zi et son traité sur l’art de la guerre datant du VIe siècle av. J-C pour bien le comprendre. Une pensée é mi n e mment moderne.

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