«Il faut savoir se jeter dans l’eau froide»
Elle fait partie des innovateurs de la place financière. La quinquagénaire dirige le Groupe Edmond de Rothschild avec des activités dans de nombreux pays, dont la banque à Genève. Rencontre avec une femme de tempérament – devenue CEO il y a un an – qui n’
Vous venez de publier les résultats de la banque. Comment les jugezvous? Les résultats sont bons, bien que le bénéfice soit en retrait. Nous avons des montants sous gestion au plus haut historique à 114,8 milliards de francs pour notre entité suisse avec une collecte nette record de 8,2 milliards. Nos montants sous gestion pour l e groupe s’élèvent à près de 163 milliards de francs. Notre ratio de solvabilité est de 31%, largement au-dessus du minimum légal. Dans un tel contexte, c’est une belle performance. Quand j’ai commencé l’an dernier, la BNS annonçait deux jours plus tard la fin du taux plancher: c’était mon cadeau de bienvenue au poste de CEO!
Comment s’est passée cette année? C’est une chose d’être membre d’un conseil d’administration, c’en est une autre d’être le CEO. Pendant le premier trimestre, j’ai repris tous les métiers en direct pour rentrer dans les sujets et bien connaître les équipes. Les chantiers étaient importants entre la Suisse, Paris et Luxembourg, où les défis sont très différents. C’était comme escalader l’Everest. Au milieu de l’année, j’ai commencé à constituer mon équipe autour de moi. Nous avons aussi clos le dossier américain avec le DoJ en payant 45 millions de dollars aux autorités. J’ai fait reprendre tout notre dispositif de défense en changeant d’avocat à trois mois de la fin de l’échéance car je n’aimais pas notre feuille de route. En tant qu’entité suisse, nous avions adopté la posture de nous retrancher derrière la loi helvétique, qui nous exonérait. Mais cette attitude créait un dialogue de sourds avec des Américains qui ne voulaient rien entendre. J’ai préféré redémarrer sur de bonnes bases.
Vous aimez les environnements avec beaucoup d’incertitudes? Oui. Mais ce que j’apprécie particulièrement, c’est de constituer une équipe et d’insuffler un état d’esprit. Mon comité exécutif reflète un mélange d’ambiance familiale très chaleureuse mais aussi très compétitive. Je suis très exigeante mais j’aime aussi que l’on s’amuse: nous travaillons dur et nous fêtons vraiment nos succès. Ce n’est pas usuel de procéder ainsi en Suisse.
Comment avez-vous changé l a culture de la maison? Nous avons été motivés par les réalités de marché et l’exigence de compétitivité. Il fallait tout simplement accélérer le rythme. Quand je suis arrivée, on me parlait de la banque comme d’une belle endormie. Il fallait en faire une belle tout court. Cette transformation m’enthousiasme. Nous sommes une marque extraordinaire, mais à un moment donné il y a eu confusion entre la représentation et la réalité. Cela arrive pour d’autres maisons, dans d’autres secteurs aussi. Prenez le mot «pérennité»: il a été utilisé chez nous à mauvais escient par le passé. Celui qui est pérenne ne s’embarque pas sur un long fleuve tranquille. Il anticipe et témoigne d’une forte appétence pour le risque car il sait que sans innovation, on recule.
Qu’avez-vous changé dans la vie des équipes? Au début, je venais le dimanche, cela étonnait la sécurité. Mais ce n’est pas un rythme de vie tenable. Pour les équipes, il faut leur montrer que, même si vous avez tout, vous ne vous endormez pas sur vos lauriers. Il y a des valeurs d’impact et d’engagement qu’il faut promouvoir. L’industrie bancaire ne peut pas être froide et distante. Moi, j’ai toujours été passionnée par ce métier. Je veux mettre de la passion dans la manière de faire les choses. Le côté mou, ce n’est pas mon truc. L’établissement traditionnel gère ainsi ses clients. Nous sommes une équipe, collectivement solidaires, notion importante dans les banques. Il faut insuffler des dynamiques différentes.
Comment travaillez-vous? Je suis très proche de mes équipes directes, proche et peu formaliste. Les gens n’y sont pas toujours habitués. J’ai des interactions avec l es équipes quasi quotidiennement sur tous les thèmes. J’aime bien voir les personnes. Je crois à la discussion avec la base car le risque des hiérarchies fermées qui n’entendent pas le terrain est élevé dans nos métiers. De plus, si vous souhaitez mettre les équipes au défi, il faut aller à leur rencontre. J’aime descendre en profondeur dans un sujet, parvenir à une prise de décision acceptée par tous et ensuite déléguer la gestion à la bonne personne.
Comment cela se passe-t-il avec votre mari, Benjamin, puisque vous êtes un cas de couple peut-être unique au monde, où l’un possède l’entreprise et l’autre la gère? Nous avons beaucoup échangé au début, mais aujourd’hui je ne le consulte plus que sur les grands sujets. Il faut trouver les bonnes zones de confort pour nous deux. Lui n’aime pas s’impliquer au quotidien, ce n’est pas sa sensibilité. Moi, je suis à l’exact opposé car je ne me sens pas à l’aise si je ne prends pas les choses à bras-lecorps. Lui est détaché et moi je fonce: nous sommes donc très complémentaires.
Vous êtes en bataille avec vos cousins français pour vous assurer que chacune des branches de la famille utilise le nom Rothschild avec un prénom. Où en êtes-vous à ce sujet? L’assignation est en cours. Dans un monde où il faut clarifier les messages, établir l’identité des maisons est nécessaire. Benjamin est bien sûr à mes côtés dans cette bataille car ce nom, c’est le sien.
Vous avez quatre filles de 13 à 20 ans. Comment envisagez-vous la succession? Dans des familles avec des activités prenantes comme les nôtres, les enfants vous regardent, vous jugent, vous disent: «Jamais je ne ferai ton métier.» Et au bout d’un moment, ils reviennent vers vous en disant: « En fait, j ’ai réfléchi…» Toutes les familles de médecins ou d’avocats connaissent cela. Je prête donc une attention bienveillante mais pas inquiète à mes filles. Sur quatre enfants, quand vous grandissez dans des environnements aussi denses de business et de complexité, cela me paraîtrait très étonnant qu’il n’y