Le Temps

Comment parler de compétitio­n aux enfants?

Inquiet des dérives commises au bord des terrains par l es j eunes sportifs ou l eurs parents, un moniteur de tennis réfléchit au sens de sa mission

- NICOLAS VERNE*

La première préoccupat­ion des enfants pratiquant un sport consiste à se mesurer aux autres, à compter les points. Quoi de plus légitime, somme toute, puisque l’instinct de compétitio­n n’est plus seulement une vertu, nous affirme-t-on, il est dorénavant une valeur universell­e par le sport révélée. Les sports où l’on s’affronte seuls ou constitués en équipes sont les grands favoris. Mais alors que pour certains cela s’inscrit dans un bouquet d’activités destiné à meubler les temps laissés libres par la scolarité, pour d’autres, la chose est prise plus au sérieux, et la fascinatio­n qu’exerce le statut d’athlète de haut niveau ou de joueur profession­nel entretient les rêves de beaucoup de jeunes aspirants champions.

De ce point de vue il est courant, de nos jours, de croiser dans les clubs des «joueurs» de 12 ans comptabili­sant quatre à cinq années de pratique de la compétitio­n. Assez rapidement, l’on distingue deux types chez ces jeunes compétiteu­rs: ceux dont le but est de gagner, et ceux dont l’ambition est d’être meilleurs que les autres. Chez les premiers, le seul terme acceptable est la victoire, ultime nourriture de l’ego. L’adversaire est considéré comme un obstacle qu’il faut éliminer, la rencontre restant un moment de grande intensité dramatique vécu à l’égal d’un combat frontal – a la muerte – où le flegme et le sens de l’humour n’ont pas droit de cité.

Les proches, défigurés par l’angoisse, sont sur le bord de touche ou derrière la vitre, prêts à haranguer. En cas de victoire, l’excès de célébratio­n est de mise, tandis que la défaite peut tourner à la tragicoméd­ie. En quelques rares occasions les parents s’en mêlent, et là on tombe dans un gouffre humain et culturel. Ceux qui ont assisté à ce type d’empoignade­s s’en rappellent, en général, toute leur vie.

Surclasser, pas anéantir

Pour la deuxième catégorie il s’agit de surclasser l’adversaire, non de l’anéantir. Le fait de gagner est un événement qui reste contrôlé émotionnel­lement, la victoire en elle-même n’étant que la conséquenc­e (comptable) du fait que l’un a été meilleur que l’autre sur la journée. La jubilation éprouvée relève de la satisfacti­on d’avoir bien joué plus que de toute autre considérat­ion. La perte de la rencontre est bien sûr ressentie douloureus­ement, mais non comme un échec personnel, plutôt comme la frustratio­n d’avoir raté une opportunit­é. Missing, not failing.

On voit bien que ces deux rapports à la rivalité sportive persistent dans le haut niveau et il est clair que l’abondance d’images de toute nature qui nous submerge induit des phénomènes d’imitation ou d’identifica­tion. Après tout cela, il peut se révéler compliqué, dans les clubs où les jeunes pratiquent la compétitio­n, d’expliquer et de promouvoir des codes comporteme­ntaux qui sont souvent très éloignés de ce qui a été vu à la TV la veille, et l’on est souvent face à un mur quand il s’agit de faire comprendre que ce qui construit la personnali­té d’un futur champion, c’est l’ensemble des efforts visant à devenir meilleur, associé à l’acceptatio­n de la défaite comme élément moteur de la progressio­n, le tout organisé au sein d’un cadre d’entraîneme­nt où la charge est progressiv­e et les temps de distractio­n et de récupérati­on sont privilégié­s.

«Mous, pas assez compétitif­s»

Nombre d’entraîneur­s promouvant cette approche sont réputés «mous» ou pas assez compétitif­s dans les clubs ou la culture de la gagne reste dominante. Cela étant, il n’est pas rare aujourd’hui d ’e nte ndre des parents se plaindre ou s’étonner de la pression que font régner certains encadrants sur des équipes composées d’enfants n’ayant même pas entamé leur adolescenc­e. Bien entendu, l’influence de la famille et de l’entourage social est primordial­e, et un bon compétiteu­r se forme autant à la maison que sur le terrain. L’échec de certains jeunes, trop rapidement attribués à l’encadremen­t sportif, relève parfois d’un environnem­ent familial tendu où la défaite est considérée comme une faute et la victoire un dû.

Le rôle des enseignant­s

Il revient aux enseignant­s et aux entraîneur­s intervenan­t dans les clubs la difficile mission de transmettr­e aux jeunes compétiteu­rs les codes de l’éthique sportive, d’expliquer (très tôt aux jeunes compétiteu­rs) que la notion de jeu doit rester présente à tout moment de l’engagement sportif, que sur le terrain il est possible de pratiquer le fair-play tout en se montrant intraitabl­e, que l’adversaire est un rival et non un ennemi, qu’il faut rester humble dans la victoire (et que l ’on peut grandir dans l a défaite), que pour exceller il faut de la force mais aussi de l’émotion, que pour progresser il faut accepter l’échec, que la triche finit par détruire ceux qui la pratiquent, que le héros du match n’est pas toujours celui qui l’a emporté. * Nicolas Verne est moniteur J+S et moniteur Kids Tennis à Swiss Tennis.

L’échec de certains jeunes, trop rapidement attribué à l’encadremen­t sportif, relève parfois d’un environnem­ent familial tendu, où la défaite est considérée comme une faute et la victoire comme un dû

 ?? (CHRISTOF KOEPSEL) ?? Ces enfants amènent les médailles aux gagnants de la Coupe du monde de patinage de vitesse à Dordrecht, aux Pays-Bas. Immersion en compétitio­n.
(CHRISTOF KOEPSEL) Ces enfants amènent les médailles aux gagnants de la Coupe du monde de patinage de vitesse à Dordrecht, aux Pays-Bas. Immersion en compétitio­n.

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