Comment parler de compétition aux enfants?
Inquiet des dérives commises au bord des terrains par l es j eunes sportifs ou l eurs parents, un moniteur de tennis réfléchit au sens de sa mission
La première préoccupation des enfants pratiquant un sport consiste à se mesurer aux autres, à compter les points. Quoi de plus légitime, somme toute, puisque l’instinct de compétition n’est plus seulement une vertu, nous affirme-t-on, il est dorénavant une valeur universelle par le sport révélée. Les sports où l’on s’affronte seuls ou constitués en équipes sont les grands favoris. Mais alors que pour certains cela s’inscrit dans un bouquet d’activités destiné à meubler les temps laissés libres par la scolarité, pour d’autres, la chose est prise plus au sérieux, et la fascination qu’exerce le statut d’athlète de haut niveau ou de joueur professionnel entretient les rêves de beaucoup de jeunes aspirants champions.
De ce point de vue il est courant, de nos jours, de croiser dans les clubs des «joueurs» de 12 ans comptabilisant quatre à cinq années de pratique de la compétition. Assez rapidement, l’on distingue deux types chez ces jeunes compétiteurs: ceux dont le but est de gagner, et ceux dont l’ambition est d’être meilleurs que les autres. Chez les premiers, le seul terme acceptable est la victoire, ultime nourriture de l’ego. L’adversaire est considéré comme un obstacle qu’il faut éliminer, la rencontre restant un moment de grande intensité dramatique vécu à l’égal d’un combat frontal – a la muerte – où le flegme et le sens de l’humour n’ont pas droit de cité.
Les proches, défigurés par l’angoisse, sont sur le bord de touche ou derrière la vitre, prêts à haranguer. En cas de victoire, l’excès de célébration est de mise, tandis que la défaite peut tourner à la tragicomédie. En quelques rares occasions les parents s’en mêlent, et là on tombe dans un gouffre humain et culturel. Ceux qui ont assisté à ce type d’empoignades s’en rappellent, en général, toute leur vie.
Surclasser, pas anéantir
Pour la deuxième catégorie il s’agit de surclasser l’adversaire, non de l’anéantir. Le fait de gagner est un événement qui reste contrôlé émotionnellement, la victoire en elle-même n’étant que la conséquence (comptable) du fait que l’un a été meilleur que l’autre sur la journée. La jubilation éprouvée relève de la satisfaction d’avoir bien joué plus que de toute autre considération. La perte de la rencontre est bien sûr ressentie douloureusement, mais non comme un échec personnel, plutôt comme la frustration d’avoir raté une opportunité. Missing, not failing.
On voit bien que ces deux rapports à la rivalité sportive persistent dans le haut niveau et il est clair que l’abondance d’images de toute nature qui nous submerge induit des phénomènes d’imitation ou d’identification. Après tout cela, il peut se révéler compliqué, dans les clubs où les jeunes pratiquent la compétition, d’expliquer et de promouvoir des codes comportementaux qui sont souvent très éloignés de ce qui a été vu à la TV la veille, et l’on est souvent face à un mur quand il s’agit de faire comprendre que ce qui construit la personnalité d’un futur champion, c’est l’ensemble des efforts visant à devenir meilleur, associé à l’acceptation de la défaite comme élément moteur de la progression, le tout organisé au sein d’un cadre d’entraînement où la charge est progressive et les temps de distraction et de récupération sont privilégiés.
«Mous, pas assez compétitifs»
Nombre d’entraîneurs promouvant cette approche sont réputés «mous» ou pas assez compétitifs dans les clubs ou la culture de la gagne reste dominante. Cela étant, il n’est pas rare aujourd’hui d ’e nte ndre des parents se plaindre ou s’étonner de la pression que font régner certains encadrants sur des équipes composées d’enfants n’ayant même pas entamé leur adolescence. Bien entendu, l’influence de la famille et de l’entourage social est primordiale, et un bon compétiteur se forme autant à la maison que sur le terrain. L’échec de certains jeunes, trop rapidement attribués à l’encadrement sportif, relève parfois d’un environnement familial tendu où la défaite est considérée comme une faute et la victoire un dû.
Le rôle des enseignants
Il revient aux enseignants et aux entraîneurs intervenant dans les clubs la difficile mission de transmettre aux jeunes compétiteurs les codes de l’éthique sportive, d’expliquer (très tôt aux jeunes compétiteurs) que la notion de jeu doit rester présente à tout moment de l’engagement sportif, que sur le terrain il est possible de pratiquer le fair-play tout en se montrant intraitable, que l’adversaire est un rival et non un ennemi, qu’il faut rester humble dans la victoire (et que l ’on peut grandir dans l a défaite), que pour exceller il faut de la force mais aussi de l’émotion, que pour progresser il faut accepter l’échec, que la triche finit par détruire ceux qui la pratiquent, que le héros du match n’est pas toujours celui qui l’a emporté. * Nicolas Verne est moniteur J+S et moniteur Kids Tennis à Swiss Tennis.
L’échec de certains jeunes, trop rapidement attribué à l’encadrement sportif, relève parfois d’un environnement familial tendu, où la défaite est considérée comme une faute et la victoire comme un dû