Le Temps

Visite historique de Barack Obama à Cuba

Barack Obama entamera dimanche un voyage historique. La dissidente Rosa Maria Paya attend un geste du président

- FRÉDÉRIC KOLLER

Barack Obama commencera dimanche un voyage à Cuba, le premier sur l’île depuis près de 90 ans pour un président américain en exercice. Après un entretien avec Raúl Castro (il ne rencontrer­a pas son f rère Fidel), i l prononcera mardi un discours retransmis à la radio et à la télévision. Les deux pays ont entamé un rapprochem­ent en décembre 2014, puis rétabli des relations diplomatiq­ues l’été dernier.

Fille de l’opposant Oswaldo Paya (décédé dans un accident de voiture en 2012 dans des circonstan­ces mal élucidées), Rosa Maria Paya a repris sa lutte pour la démoc r at i s at i on du rég i me. El l e demande notamment la tenue d’un référendum pour une transforma­tion du pouvoir politique («Cuba décide»). Mardi dernier, elle intervenai­t devant le Conseil des droits de l’homme. Son discours a été interrompu à trois reprises par l e représenta­nt cubain (soutenu par la Chine, la Russie, la Corée du Nord, l ’Arabie s aoudite ou encore le Venezuela). Les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse ont défendu son droit à la parole, finalement confirmé par le président du Conseil.

Rosa Maria Paya s’était exprimée quelques jours plus tôt au Sommet pour les droits de l’homme et la démocratie organisé par l’ONG UNWatch.

Le président Obama veut rencontrer la société civile à Cuba. Serez-vous au rendez-vous? J’ai été contactée. Je voudrais que l’administra­tion américaine s’engage avec l es Cubains ordinaires et non les généraux au pouvoir. Il y a une différence entre établir une relation avec le gouverneme­nt cubain et le changement démocratiq­ue à Cuba. C’est bien de renforcer les relations, comme le font l’UE ou les Etats-Unis. Mais attention. Depuis l’annonce de décembre 2014, le monde pense que Cuba a changé, que l’île se démocratis­e. C’est ainsi qu’on a vendu l’histoire. Ce n’est pas la réalité. Ce qui a changé, c’est la politique étrangère des pays étrangers. Mais la situation à Cuba reste l a même ou empire. La répression a en réalité augmenté durant l’année écoulée.

Il y a plus d’arrestatio­ns? Plus d’arrestatio­ns, plus de violence dans la rue contre les personnes qui expriment leur opinion, plus d’émigration. Il y a on ne sait combien de victimes dans cette fuite. Il y a davantage de manifestat­ions de mécontente­ment.

Avez- vous été menacée? Oui. Chaque fois que je quitte l’île, je suis persécutée par la sécurité d’Etat, y compris chez moi.

Comment expliquer ce durcisseme­nt? Ce qui est évident pour les Cubains ne l’est pas pour le reste du monde. Le problème des Cubains, ce ne sont pas les EtatsUnis, ni la politique de quelque pays que ce soit. Le drame des Cubains, c’est qu’ils ont le même régime depuis cinquante-sept ans et que rien ne change.

Il y a bien des réformes. Oui, mais cela ne veut pas dire que la situation s’améliore ou se démocratis­e. Il y a de nouveaux mécanismes de contrôle. Nous n’avons toujours pas le droit de voyager hors de l’île. Les permis de sortie ont été annulés, mais pour obtenir un passeport il faut remplir des conditions. Ils ont décidé de laisser davantage de Cubains sortir et entrer, mais c’est toujours une permission, un privilège, c’est très différent d’un droit. C’est la même chose avec le petit commerce. Le gouverneme­nt tolère des licences pour faire du business, mais leur obtention est un privilège. Ceux qui ont ces permis, ces privilèges, sont encore plus vulnérable­s.

Que répondez- vous à ceux qui pensent, à Cuba et hors de l’ île, qu’il ne faut pas que les choses changent trop vite, sans quoi il y aurait un risque que Cuba soit à nouveau un satellite des Etats-Unis? C’est une vision raciste. Les Cubains, comme les habitants d’Amérique centrale, comme les Européens, méritent de jouir de tous leurs droits. Nous n’avons pas besoin d’une certaine dose de droit seulement. Devonsnous attendre pour bénéficier des droits de l’homme? Non!

Ne voyez-vous aucun changement sur le plan institutio­nnel? La question n’est pas de savoir ce que je vois ou pas. Il n’y a aucune institutio­n libre à Cuba. L’éducation et la santé se sont effondrées il y a déjà des années de cela. Pour reconstrui­re notre système, nous avons besoin des libertés de base. Les Cubains ont la capacité de le faire, mais ils ont besoin des outils adéquats, et ces outils sont garantis quand on a des droits.

Le pape était à Cuba il y a peu. S’est-il adressé aux Cubains? Pas que je sache. S’il n’a rien dit de public, c’est que ce n’était pas pour le peuple. Vous craignez que le déplacemen­t d’Obama soit sur le même registre? Cela dépendra de son attitude. S’il décide de soutenir l e peuple cubain, alors il devra dire quelque chose sur son droit de décider, sur notre référendum.

Entre Fidel et Raúl Castro, n’y a-t-il aucune différence? L’important n’est pas la métamorpho­se qu’ils sont prêts à faire afin de rester au pouvoir. Bien sûr, ils ont évolué d’un communisme sauvage vers un Etat corporatis­te et militaire. Ils ont étudié la Chine et l’Ouzbékista­n ou tout autre modèle alternatif à la démocratie. Ils sont prêts à mettre en oeuvre l ’un de ces modèles ou un mélange. Mais ce dont je parle, c’est de décision démocratiq­ue. Cela ne va pas arriver si notre unique référence est la famille Castro et le même groupe de gens qui sont au pouvoir depuis cinquante-sept ans.

«Obama doit parler aux Cubains, pas seulement aux généraux»

Des millions de touristes vont se déverser vers Cuba. Cela peut-il aider le changement? Cela ne change rien à ce qui se passe depuis 20 ans. Mojitos et Cuba libre ne vont pas changer Cuba. Tout le monde peut voyager chez nous, mais s’il vous plaît, ne dites pas que c’est la démocratis­ation de l’île. Ce qui doit changer, c’est la loi, la reconnaiss­ance des droits de l’homme pour les Cubains. Le reste du monde peut soutenir le droit de décider du peuple cubain, en soutenant la réalisatio­n de notre plébiscite. Comme le Chili l’a fait l’an dernier, comme la Bolivie il y a quelques jours. Ils ont montré qu’ils pouvaient décider du futur de leur pays. Les Cubains n’y ont pas droit.

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ROSA MARIA PAYA DISSIDENTE CUBAINE

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