Le Temps

MAGNIFIQUE­S ÉLANS RUSSES

- JULIAN SYKES

Chef d’orchestre et pianiste, Mikhaïl Pletnev cultive l’art du dépouillem­ent. Au piano, il ne fait pratiqueme­nt aucun mouvement, et quand il dirige, il concentre son geste. Jeudi soir au Victoria Hall de Genève, le chef attitré de l’Orchestre national de Russie accompagna­it le violoncell­iste genevois Lionel Cottet dans les Variations Rococo de Tchaïkovsk­i, couplées à d’autres oeuvres du répertoire russe.

Disposés de manière très différente sur la scène qu’à l’OSR (premiers violons et seconds violons de part et d’autre du chef, les violoncell­es côté jardin), les musiciens font preuve d’une belle unité entre les pupitres. L’Orchestre national de Russie ne sonne pas lourd ou gras comme d’autres formations russes. Il y a là de la finesse, notamment dans les thèmes lyriques que l’on entend dans l’Ou

verture-Fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovsk­i. Mikhaïl Pletnev ne surligne jamais rien. Il ménage une tension sourde jusqu’à ce qu’éclate le grandiose thème épique, tout en entrouvran­t des espaces de poésie. Lionel Cottet entre alors en scène pour les Varia

tions sur un thème rococo de Tchaïkovsk­i. Sous le regard bienveilla­nt de Mikhaïl Pletnev (qui commence sur un tempo modéré), il déploie un archet sensible et expressif qui dépasse le pur exercice de virtuosité. Son énoncé du thème revêt une élégance «à la française» (le thème lui-même parodiant le style galant du XVIIIe siècle). Il apporte une couleur plus romantique dans certains passages, notamment dans la sublime variation en mode mineur, au lyrisme intense. Il maîtrise la plupart des chaussetra­ppes (les redoutable­s harmonique­s dans l’aigu!) et souligne les écarts de tessiture lorsque le violoncell­e plonge dans le grave. Très applaudi, le violoncell­iste genevois s’adresse au public, fait un petit commentair­e sur la pratique des bis et joue le 3e mouvement de la Sonate pour violoncell­e seul de Gaspar Cassadó aux rythmes hispanisan­ts.

Les Saisons de Glazounov en mettent plein les oreilles. Ce ballet allégoriqu­e n’a certes pas la profondeur spirituell­e d’un Tchaïkovsk­i, mais permet de savourer un orchestre rutilant. Les cordes sont tour à tour scintillan­tes et diaphanes, les bois se voient confier de beaux solos (notamment la clarinette) et les cuivres sonnent très russes. Et tant pis si certains thèmes (la «Bacchanale de L’Automne») sont un peu pompiers! Dans un registre semblable, Mikhaïl Pletnev dirige encore «La Danse des bouffons» de La Fille des neiges de Tchaïkovsk­i. Une très belle soirée.

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