Le Temps

«Spotlight», le film qui vieillit «Les Hommes du président»

- PAR MARIE-CLAUDE MARTIN

J’ai beaucoup aimé Spotlight, Oscar du meilleur film, qui retrace l’enquête du Boston Globe pour mettre en lumière ce qui deviendra, en 2002, un des plus grands scandales pédophiles au sein de l’Eglise catholique. Sobriété, précision des faits, dialogues tendus, casting prestigieu­x mais jamais cabotin, mise en fiction de faits réels, le film en rappelle un autre, le classique du genre: Les Hommes du président, réalisé en 1976, quatre ans après le Watergate. Pour prolonger le plaisir de Spotlight, j’ai donc revu le film d’Alan J. Pakula. Et là, je dois l’avouer: j’ai été déçue.

Le duo Robert Redford et Dustin Hoffman reste épatant et l’observatio­n du métier, fait en grande partie de temps morts, exemplaire: il faut savoir filmer pour ne pas plomber deux heures de film à voir un gars au téléphone faire parler des gens qui n’en ont pas envie. Alors pourquoi cet élégant ennui? D’abord, l’enquête est difficile à suivre en raison d’une avalanche de noms dont on ne sait plus aujourd’hui à quoi, ou à qui, ils correspond­ent. Mais surtout, ce qui m’a frappée, c’est l’absence de rythme. Je ne parle pas ici de lenteur, mais de délayage, un peu comme un Spritz dans lequel on aurait mis trop d’eau et pas assez d’alcool.

Cette sensation de dilution, je ne l’ai pas éprouvée dans les années 1980, quand j’ai découvert le film. Il faut dire qu’entre-temps, il s’est passé une mini-révolution: le succès des séries TV avec leur écriture nerveuse, leur action millimétré­e et leur format court, où chaque minute compte.

Un classique irréductib­lement septième art (Lang, Wilder, Huston) ne souffrirai­t pas de la comparaiso­n. Alors pourquoi dessert-elle Les Hommes du président? Parce qu’à le revoir, il m’est apparu que le film de Pakula était un peu la genèse des séries TV: un tandem profilé entouré d’une équipe où chaque personnage a son caractère, un lieu matriciel récurrent (ici, la newsroom), une approche très documentée d’un métier, une action par épisode et un esprit d’équipe auquel on s’attache.

Ne manque que ce fameux rythme imposé par la fiction télévisée.

Spotlight, lui, a intégré ce tempo sans se départir de ses qualités «à l’ancienne». Du coup, il démode cruellemen­t le film auquel il rend hommage. Un peu comme le traitement de texte a remisé la machine à écrire.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland