Les zinzins de la pizza
Au volant de leur «food truck» genevois, Max Fischer et Edoardo Trivero ont tapé dans l’oeil de l’éditeur Phaidon. Leur pizza est l’une des meilleures du monde
Ils tournent depuis deux ans déjà dans les rues de Genève au volant de leur food truck gris foncé. La cantine ambulante de Max Fischer et de son associé Edoardo Trivero porte le nom d’un empereur romain à la réputation sulfureuse. Comme son logo l’indique, Nero’s Pizza sert de la pizza entre 12h et 14h au centre-ville à une clientèle pressée. «On a choisi Néron parce que ça marche dans toutes les langues et qu’il évoque tout de suite Rome, LA ville de la pizza», explique Max Fischer devant son camion garé ce mardi sur la place Bel-Air, où, pendant deux heures, 80 personnes vont se sustenter. La routine.
Et puis au mois de mars, la consécration. Phaidon, éditeur britannique de livres d’art et dont la collection de bouquins de cuisine fait désormais autorité, les retient dans son ouvrage définitif sur la question:
Where to eat pizza? L’atlas compile les 1705 meilleures pizzerias du monde, dont trois à Genève (Luigia et Giardino Romano font également partie du lot). Il a été écrit par Daniel Young, critique gastronomique américain au New York Times qui a fait de ce genre de best of sa spécialité.
Bonne pâte
Se faire repérer par un pape culinaire alors qu’on cuisine à Genève dans la kitchenette mobile d’un camion, forcément ça fait plaisir. «Les gens croient que les meilleures pizzas du monde viennent d’Italie ou alors sont servies dans des restaurants branchés à Paris ou à New York. Mais c’est faux. C’est ce que ce livre montre, que dans un petit village du Japon un type se casse la tête, comme nous, pour obtenir un produit à la texture optimale.» Surtout la pâte, la base de toute bonne napolitaine qui se respecte. «On est des nerds de la pâte. On ne pense qu’à ça toute la journée. La pâte, c’est de la chimie, c’est comme un bébé, une matière vivante qui exige beaucoup de soins et dont la qualité varie en fonction des saisons et des températures. » Leurrecette? Max Fischer ne vous la donnera pas. «Notre secret, c’est le savoir-faire, de n’utiliser que des ingré- dients de première qualité. Notre pâte est fabriquée à partir de deux types de farine bio qui viennent de la région de Parme. On mélange une farine à graines anciennes qui donne du goût et du croustillant à une farine de nouvelles graines qui donne du tonus à cette pâte qui va travailler pendant 72 heures. On a mis un an et demi pour mettre cette pâte au point. Et on apprend à chaque nouvelle fabrication.»
Le nouveau burger
Il faut dire que l a rencontre entre Max Fischer et la pizza, c’est un peu l’histoire du parapluie et de la machine à coudre chez Lautréamont. Allemand de naissance, mais éduqué en langue anglaise (d’où son accent), il a suivi l’Ecole hôtelière de Lausanne avant de prendre un poste dans le marketing d’une grosse boîte de cosmétique. Un copain de sa promotion se rappelle à son bon souvenir. Né à Rome, Edoardo Trivero, lui, a continué dans la restauration et il a une idée. Manger une pizza, c’est bien, mais manger une bonne pizza, c’est encore mieux. «C’est un produit ancien mais qui profite d’une nouvelle mode. Tous les magazines en parlent. En fait, la pizza, c’est devenu le nouveau burger», analyse Max Fischer. Et puis au niveau des fournisseurs, c’est aussi plus simple à fabriquer: de l’eau, de la farine et une poignée d’ingrédients bien sélectionnés et le tour est joué. Enfin presque. «Au début, on pensait ouvrir un restaurant. On a visité plusieurs endroits, mais le coup de coeur n’est pas venu. Il y avait aussi la question du budget qui compliquait tout. Le food truck était la meilleure solution.» Max Fischer et Edoardo Trivero ont ensuite mis la main à la pâte. «On est allé à Rome chercher des conseils auprès des meilleurs de leur catégorie, reprend Edoardo Trivero. Notamment au Pizzarium de Gabriele Bonci, la star de la pizza gastro, mais aussi chez des boulangers de quartiers populaires qui vous servent une pizza à vous relever la nuit.» Celle de Nero’s est pas mal non plus. Cuite en longue tranche, elle est ensuite découpée aux ciseaux «selon la technique romaine pour éviter d’arracher la garniture». Croquante dehors, tendre dedans, elle est accompagnée au choix de mozzarella di bufala ou d’oignons confits. C’est bon, vous êtes en Italie. D’autant que le prix du voyage est toujours moins cher qu’un aller simple en avion: 12 francs les deux portions.
Et la suite? Un restaurant? Un deuxième camion? «On sait très bien où on va, mais on ne veut rien dire pour l’instant, continue Max Fischer. On ne veut pas se disperser. Il est important pour nous de garder la maîtrise sur un seul produit.» Le pizzaïolo fait également remarquer qu’en quelques années, les mentalités en termes d’habitudes alimentaires ont évolué. «Depuis 2014, la Ville de Genève donne accès à l’espace public à dix camions de restauration. Nous nous sommes débarrassés de cette image de baraque à frites qui, au début, nous collait à la peau. D’ailleurs, on nous engage de plus en plus comme traiteur pour des mariages ou des barmitsvah. Le food truck, c’est convivial, tout le monde se retrouve autour et mange avec les doigts. Les gens adorent ça.»