Le Temps

La guerre des bouchons

- PAR PIERRE-EMMANUEL BUSS

Le débat a été très vif la semaine dernière sur le profil Facebook de José Vouillamoz, coauteur de la bible des cépages Wine Grapes. Au coeur d’échanges parfois tendus, une question qui divise le monde du vin: faut-il bannir le bouchon en liège, à l’origine du fameux goût de bouchon? Pour l’ampélologu­e valaisan, cela ne fait pas un pli. Sa propositio­n: adopter la capsule à vis pour tous les vins, comme cela se fait en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Le vigneron valaisan Mickaël Magliocco a tenté de défendre le bon vieux cylindre de liège. Selon lui, il s’agit «d’un excellent moyen de conserver le vin» avec un risque, certes, mais qui fait partie du jeu. Et de faire le parallèle avec l’arbitrage vidéo dans le football: «Je fais partie des nostalgiqu­es qui pensent que la main en or de Maradona fait partie de l’histoire, comme un Petrus de 1976 bouchonné ouvert en 2008.» Il s’est fait tomber sur le dos par le blogueur français Vincent Pousson, pour qui l’utilisatio­n du liège constitue «un archaïsme» qui impose «de foutre à l’évier 5% de ses bouteilles chèrement payées». La guerre des bouchons s’est terminée en dialogue de sourds. Une habitude sur les réseaux sociaux.

Seraient-ce les prémices d’une conversion tardive au consensus mou typiquemen­t helvétique? A ma grande surprise, j’étais incapable de prendre parti de manière tranchée dans le débat. D’un côté, je reste très attaché au bouchon en liège. J’aime traquer les éventuelle­s déviations aromatique­s et l’incertitud­e causée par l’évolution différente des bouteilles d’une même caisse à travers le temps. La déception ne me fait pas peur. Au contraire même: elle accentue le plaisir de boire un vin sous son meilleur jour. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Malheureus­ement, la contaminat­ion par le 2,4,6-trichloro-anisole, ou TCA, n’est pas toujours franche du collier. Il arrive que la molécule rende le vin mutique. Face à un encéphalog­ramme plat, le buveur lambda ne maudit pas le bouchon mais le vin lui-même et, par ricochet, le vigneron. Cet argument est le seul qui pourrait m’inciter à en finir avec le liège. Car si j’ai une vraie affection pour les coupables trop maladroits pour masquer leur méfait, je suis sans pitié avec les meurtriers qui tentent de fuir leurs responsabi­lités.

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