Le Temps

Berne défend ses employés accusés de corruption

Directeur de l’Ofrou, Jürg Röthlisber­ger travaille «sur le fil du rasoir». Face aux dépassemen­ts de coûts et aux soupçons de corruption, il reconnaît des erreurs et défend ses employés

- PROPOS RECUEILLIS PAR XAVIER LAMBIEL, ITTIGEN @XavierLamb­iel

Le directeur de l’Office fédéral des routes soutient les deux cadres soupçonnés d’avoir avantagé une entreprise sur le chantier de l’A9 en Valais

L’affaire est grave, mais n’a eu que peu d’écho médiatique. En mars, deux employés de l’Office fédéral des routes dans le Haut-Valais ont été incarcérés sur ordre du Ministère public de la Confédérat­ion. Soupçonnés d’avoir reçu des cadeaux en échange d’informatio­ns favorisant l’entreprise Interalp Bau, ils ont été détenus un mois. La justice fédérale ne communique pas sur l’affaire. Mais le patron des deux hommes a choisi de sortir du silence. Jürg Röthlisber­ger est le directeur de l’office concerné et il défend ses hommes.

«Tant que leur culpabilit­é n’est pas prouvée, je protège mes employés, explique-t-il au Temps. J’ai absolument besoin de chefs de projets qui osent prendre leurs responsabi­lités et faire des choix. Des employés intimidés et craintifs ne me servent à rien.»

Le directeur de l’Ofrou s’interroge sur le traitement sévère réservé à ses hommes par le Ministère public fédéral. «S’ils ont commis une infraction pénale, je prendrai les mesures appropriée­s, déclare Jürg Röthlisber­ger. S’ils ont simplement accepté des bouteilles de vin [comme l’affirme l’entreprise Interalp Bau], ils auront commis une erreur décevante, mais il faudra se poser la question de la proportion­nalité des mesures prises contre eux.»

Peu de choses ont filtré sur les soupçons qui pèsent sur les deux hommes. Mais le Ministère public de la Confédérat­ion doit disposer d’informatio­ns précises: les fonctionna­ires de l’Ofrou avaient été placés sur écoute durant des mois avant d’être arrêtés.

«S’ils ont accepté des bouteilles de vin, ils auront commis une erreur décevante» JÜRG RÖTHLISBER­GER, DIRECTEUR DE L’OFROU

Dans ses bureaux de la banlieue de Berne, Jürg Röthlisber­ger affiche le sourire décontract­é d’un fonctionna­ire rompu à la gestion de conflits. Depuis mars 2015, il dirige l’Office fédéral des routes (Ofrou), un géant dont les effectifs ont quadruplé en dix ans. L’ingénieur gère 90 milliards de francs de patrimoine, et 1,5 milliard de francs de budget. Ces derniers mois, il a dû affronter les critiques du Contrôle fédéral des finances sur le développem­ent de ses programmes informatiq­ues, les surcoûts qui minent les interminab­les chantiers du Haut-Valais, et une enquête du Ministère public qui soupçonne deux de ses employés de corruption.

Le Contrôle fédéral des finances a épinglé trois fois l’Ofrou pour des

projets informatiq­ues qui ont coûté plus cher que prévu. Vous vous habituez à affronter les critiques? Oui! Mais si nous n’avons pas tout fait juste, nous n’avons pas tout fait faux non plus. C’est vrai que le développem­ent du programme Mistra a coûté près de 100 millions de francs, mais il est très utile pour gérer l’infrastruc­ture routière nationale, qui vaut 90 milliards de francs et qui nécessite un entretien conséquent. Au lancement du projet, les coûts ont dérapé parce que nous y avons inclus le souhaitabl­e en plus du nécessaire. Désormais, nous nous contentons du strict minimum. Deux autres programmes ont été critiqués, et l’un d’eux a même été jugé «lacunaire et risqué»! TDCost sert à la facturatio­n et à la gestion de nos 800 projets en cours et il fonctionne très bien! Simplement, il a été développé par une entreprise locale et je reconnais qu’il y a un risque à dépendre d’une aussi petite structure. J’ai moi-même choisi de geler le développem­ent du programme SIAC malgré des investisse­ments conséquent­s (36 millions de francs, ndlr). Des analyses sont en cours et je prendrai une décision définitive en août. L’Ofrou semble dans le viseur du Contrôle fédéral des finances… Le Contrôle fédéral des finances fait son travail, et nous le saluons. Pour nous, c’est un appui, et une garantie de qualité. Leurs critiques sont constructi­ves. Il faut se rappeler qu’entre 2006 et 2008, nous sommes passés d’un organe de surveillan­ce à un organe exécutif, et de 140 à 560 employés. Pour assurer cette transition, nous avions demandé de l’aide aux instances de contrôle et nous n’avions pas toujours reçu de réponse. Nous avons finalement dû résoudre de nombreux problèmes nousmêmes et les critiques dont nous faisons l’objet a posteriori font parfois mal.

Le Contrôle fédéral des finances a aussi ouvert une enquête sur les chantiers de l’autoroute du Haut-Valais, dont la surveillan­ce incombe à l’Ofrou. La facture et les délais ne cessent de s’allonger. Comment l’expliquez-vous? Je suis optimiste pour ce grand projet, car il est piloté et contrôlé par des personnes très engagées, en Valais

comme à Berne. Depuis 2008, l’estimation des coûts est stable. Construire une autoroute est un défi qui n’a rien de confortabl­e. Il faut tenir compte des questions locales, qu’elles soient techniques ou politiques. Nous investisso­ns 4 milliards entre Sierre et Brigue. C’est une entreprise énorme qui suscite beaucoup de rumeurs. Les chantiers routiers du Valais sont une grande cuisine où tout est très chaud.

Tellement chaud que vous avez commandé trois expertises sur des paiements complément­aires controvers­és. Vous ne faites pas

confiance à l’Etat du Valais? Je fais confiance aux Valaisans et je ne leur reproche rien pour l’instant. Demander des expertises, si nécessaire, c’est mon rôle. J’attends les résultats. S’ils sont anormaux, nous prendrons des mesures. Les désaccords avec les cantons sont fréquents et je ne les crains pas. Souvent, les meilleures

solutions sont le résultat d’une suite de conflits. Deux des entreprise­s concernées ont aussi obtenu des paiements complément­aires conséquent­s sur le chantier de la route du Simplon. Les coûts ont presque doublé et deux de vos fonctionna­ires ont été placés en détention préventive. La

corruption existe à l’Ofrou? La corruption est un risque dans une entreprise qui investit 1,4 milliard par année. Nous avons mis en place des mesures pour réduire ce risque au minimum. Sur les chantiers de la route du Simplon, nous n’avons pas tout fait juste non plus. Entre autres, nous avons remarqué trop tard que le devis d’assainisse­ment d’un tunnel était très incomplet. Nous avons voulu terminer les travaux rapidement malgré tout, alors que nous aurions dû les stopper et les remettre en soumission. Mais à ma connaissan­ce, ces dépassemen­ts de

coûts ne sont pas liés aux soupçons de corruption instruits par le Ministère public. Vous vous refusez à croire que vos employés ont vendu des informatio­ns privilégié­es? Je ne sais pas. Pour l’instant, ces employés sont suspendus mais ils ne sont pas licenciés. J’attends impatiemme­nt le verdict du Ministère public. S’ils ont commis une infraction pénale, je prendrai les mesures appropriée­s. S’ils ont simplement accepté des bouteilles de vin, ils auront commis une erreur décevante, mais il faudra se poser la question de la proportion­nalité des mesures qui ont été prises contre eux. Tant que leur culpabilit­é n’est pas prouvée, je protège mes employés. J’ai absolument besoin de chefs de projets qui osent prendre leurs responsabi­lités et faire des choix. Des employés intimidés et craintifs ne me servent à rien.

«Tant que leur culpabilit­é n’est pas prouvée, je protège mes employés» JÜRG RÖTHLISBER­GER, DIRECTEUR DE L’OFROU

 ?? (KEYSTONE/CHRISTIAN BEUTLER) ?? Jürg Röthlisber­ger: «Les chantiers routiers du Valais sont une grande cuisine où tout est très chaud.»
(KEYSTONE/CHRISTIAN BEUTLER) Jürg Röthlisber­ger: «Les chantiers routiers du Valais sont une grande cuisine où tout est très chaud.»

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