Sergio Ermotti part en croisade contre l’entraide fiscale avec la France
Le patron de l’établissement se plaint du laxisme des autorités fédérales, qui seraient prêtes à livrer les données de milliers de clients à la France
Jamais, ces dernières années, un grand banquier suisse n’avait pareillement attaqué la nouvelle politique helvétique de transparence fiscale. Dans une interview d’une rare virulence à la SonntagsZeitung – reprise partiellement dans Le Matin Dimanche – le patron d’UBS Sergio Ermotti la juge «opaque», et fondée sur des «arrangements politiques» plus que sur des règles de droit.
Le fait que l’administration fédérale veuille remettre à la France des données concernant des milliers d’anciens clients d’UBS l’écoeure particulièrement. La demande française est fondée sur des «données lacunaires et sans indices concrets», déplore Sergio Ermotti. «Ce n’est pas juste, c’est pour nous un cas clair de partie de pêche non autorisée» – une fishing expedition prohibée par les traités d’entraide fiscale, qui exigent des demandes précises pour livrer des informations sur les clients.
«Ce qui se passe n’est pas normal»
Bien introduit dans les étages supérieurs des banques suisses, l’avocat genevois Carlo Lombardini se dit «ravi» de voir un dirigeant «s’exprimer enfin ouvertement». Selon lui, «on s’est tu jusqu’à maintenant et c’était une erreur. Ce qui se passe n’est pas normal. La Suisse aurait très bien pu refuser cette demande française. On fait plus d’entraide que n’importe quel pays, maintenant il faut finalement se rendre compte que dire toujours oui n’est pas une politique.»
La semaine dernière, UBS avait révélé avoir «reçu une ordonnance de production de l’Administration fédérale des contributions (AFC) pour transférer des informations, basée sur une demande française d’assistance administrative internationale en matière fiscale». A l’origine de cette demande, des données de clients saisies lors d’une perquisition chez UBS en Allemagne, en 2013.
Selon Sergio Ermotti, UBS demande à pouvoir être traitée comme partie lors des procédures d’entraide fiscale (seuls les clients ont ce statut aujourd’hui). Elle aimerait que les données ne soient pas transmises avant que les recours judiciaires en Suisse soient épuisés. Enfin, elle demande un règlement global de l’héritage d’évasion fiscale au sein des banques suisses. Car le cas français risque de faire école: grâce aux données allemandes, d’autres pays vont demander des informations à la Suisse, redoute Sergio Ermotti.
Différence de vision
A Berne, la charge du patron d’UBS ne suscitait dimanche aucune réaction officielle. «Nous avons pris note», déclare le porte-parole du Département fédéral des finances Romand Meier. Malgré l’arrivée d’Ueli Maurer aux Finances, la politique d’entraide fiscale suisse n’a que peu changé, regrette Sergio Ermotti. Le Conseil fédéral continue selon lui de suivre une ligne de centre gauche, malgré le coup de barre à droite donné par les citoyens aux élections fédérales d’octobre.
La démarche d’UBS s’inscrit aussi dans un conflit entre les plus hautes autorités judiciaires de la Confédération. La banque a annoncé qu’elle contesterait la validité de la demande française par le Tribunal administratif fédéral (TAF). Celui-ci a déjà bloqué une autre demande, faite par les PaysBas et qu’il jugeait trop générale. «Je sens une certaine différence de vision entre le TAF et le Tribunal fédéral, note l’avocat genevois Xavier Oberson, spécialiste de la fiscalité. Le TAF est beaucoup plus restrictif, alors que le Tribunal fédéral [ndlr: juridiction suprême qui pourrait être saisie en dernier ressort] risque d’être beaucoup plus favorable à l’entraide.»
En France, UBS se dit victime d’une procédure «politisée» et faisant l’objet de nombreuses fuites. Dernière en date: Le Monde révélait vendredi que l’ancien numéro deux de la banque en France, Patrick de Fayet, avait décidé de plaider coupable de «complicité de démarchage illicite». UBS a aussi dû verser une colossale caution de 1,1 milliard d’euros dans cette affaire.