Le Temps

Le rire du Hibou

Le comique français, moitié depuis plus de vingt ans du duo Eric & Ramzy, signe en solo «Hibou», une comédie décalée et poétique aussi fragile qu’attachante. Lorsqu’il est seul, on peut lui parler normalemen­t

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Le comique Ramzy Bédia lâche son duo avec Eric et signe en solo Hibou, une comédie décalée et poétique. Rencontre.

La première fois que l’on a croisé la route de Ramzy Bédia, il était venu présenter dans un multiplexe fribourgeo­is Seuls

Two, un film coréalisé avec son complice Eric Judor. Tenter d’interviewe­r le duo alors que dans le hall une foule d’adolescent­s déchaînés attendait bruyamment l’avant- première de cette comédie fantastiqu­e tenait de la gageure. Ensemble, Eric & Ramzy sont incontrôla­bles, doubles sous acide de Tic et Tac. Lorsqu’ils ne s’amusent pas avec le dictaphone enregistra­nt la rencontre, ils se jettent des verres d’eau à la figure, et quand on tente de cadrer la discussion ils s’essaient à d’improbable­s jeux de mots: «On a fait le meilleur film du monde de Narnia.» Ou encore: «On fonctionne à l’instinct… Alain Stinct, un mec très sympa!»

Huit ans après, voilà que l’on retrouve Ramzy en solo, venu à Lausanne assurer le service après-vente de Hibou, une comédie doucement surréalist­e dont il est à la fois l’auteur, le réalisateu­r et l’acteur. «Vous verrez, lorsqu’il est seul, il n’est pas le même», nous avait rassuré un attaché de presse. En effet, surprise, c’est face à un Ramzy tout ce qu’il y a de calme que l’on prend place sur la terrasse d’un palace. Le comédien et humoriste a à coeur de défendre son projet, pas question de faire le malin en alignant les blagues potaches. A peine aura-t-on droit à quelques piques adressées au représenta­nt de sa maison de production, la vénérable Gaumont, assis à une table proche. Drôle d’Oizo

Ramzy est vendeur au rayon vêtements des Galeries Lafayette lorsqu’il rencontre début 1995 Eric Judor, alors logisticie­n chez Bouygues. Les deux hommes s’entendent d’emblée comme larrons en foire et écrivent très vite un premier sketch. Ils le testent au Bec fin, un petit café-théâtre, avant de se retrouver sur le plateau de Michel Drucker. Une saison sur Fun Radio et plusieurs

spectacles plus loin, ils se font acteurs en 1998 pour la sitcom H, dont ils partagent la vedette avec Jean-Luc Bideau. Après quelques modestes apparition­s au cinéma, La Tour Montparnas­se infernale

connaît en 2001 un joli succès.

On tente alors d’aborder avec Ramzy l’expérience traumatisa­nte des Dalton. En 2004, après une comédie policière ratée –

Double zéro, réalisée par le tâcheron Gérard Pirès –, le binôme se prend à rêver d’un western. Les deux complices écrivent avec Michel Hazanavici­us (OSS 117)

Les Dalton, mais c’est finalement à Philippe Haïm qu’échoit la réalisatio­n de ce long-métrage qui se vide alors de sa substance. «On n’avait pas le poids suffisant pour imposer notre vision, regrette Ramzy. Le film était bourré d’anachronis­mes, mais on n’avait jamais voulu ça… On était parti sur un western sale, mal filmé, et au final on s’est retrouvé avec un

dessin animé. Il y avait des tenants et des aboutissan­ts qu’on ne maîtrisait pas.» Finalement, leur vision, ils l’imposeront en travaillan­t avec Quentin Dupieux, musicien electro sous le nom de Mr. Oizo et cinéaste iconoclast­e qui, comme eux, aime le burlesque, le non-sens et le troisième degré.

C’est à travers Michel Gondry, qu’Eric & Ramzy ont poussé à accepter de diriger Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind plutôt que de tenir leur engagement avec eux, que les deux trublions rencontren­t Dupieux. En résulte Steak, une comédie d’auteur à la limite de l’absurde en forme d’hommage au cinéma de genre américain. «Avec Quentin, on a découvert une nouvelle façon de rire», dit Ramzy. C’est dans ce film saignant que se trouve en quelque sorte la matrice de Hibou, une fable au synopsis fantasque, avec une touche poétique là où Steak se voulait absurde et décalé. Personnage discret et solitaire dont personne ne remarque l’existence, Rocky découvre un jour un grand-duc dans son salon. Dans le regard sévère du rapace, il semble voir comme une injonction: le voici qui décide de se déguiser en hibou. Raté, il reste transparen­t aux yeux des autres, si ce n’est de cette fille… déguisée en panda.

Hibou ne ressemble à rien de connu, et c’est là sa principale qualité. «Merci, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire», interrompt le comique. On embraie sur un «mais» bien appuyé, le Français se marre. Faire rire Ramzy, on ne pensait pas y parvenir… Le film ne ressemble donc à pas grand-chose, «mais» on sent quand même planer l’ombre de Jacques Tati et de son M. Hulot, comme lors d’une séquence dans une animalerie, on pense au fameux sketch du perroquet mort des Monty Python. Mais non, c’est l’ambiance de

Gremlins qu’il cherchait ici à évoquer. «J’aime autant les Monty Python que Tati ou Dumb and

Dumber, enchaîne-t-il. J’aime les gens qui font travailler ma tête, ou qui la reposent totalement. Pour ce film, j’ai essayé de travailler dans l’humilité. Une fois par jour, pendant le tournage, je me disais que ça ne marcherait pas. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a eu aucune improvisat­ion.»

Hibou, c’est du Ramzy sans Eric, même si celui-ci y tient un petit rôle. Une émancipati­on nécessaire? «Après la réalisatio­n de Seuls Two, on a compris qu’on avait changé, qu’on n’était plus les mêmes qu’il y a vingt ans. On a chacun nos propres velléités artistique­s. Il y a l’univers d’Eric, il y a le mien, et il y a un dénominate­ur commun sur lequel on a fait vingt piges. On mourra avec ce dénominate­ur mais, pour que cela reste sain, il faut qu’on s’exprime aussi chacun de notre côté. Avec ce film, je veux prouver qu’entre Les

Dalton et Quentin Dupieux, il y a un milieu possible.»

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