Le rire du Hibou
Le comique français, moitié depuis plus de vingt ans du duo Eric & Ramzy, signe en solo «Hibou», une comédie décalée et poétique aussi fragile qu’attachante. Lorsqu’il est seul, on peut lui parler normalement
Le comique Ramzy Bédia lâche son duo avec Eric et signe en solo Hibou, une comédie décalée et poétique. Rencontre.
La première fois que l’on a croisé la route de Ramzy Bédia, il était venu présenter dans un multiplexe fribourgeois Seuls
Two, un film coréalisé avec son complice Eric Judor. Tenter d’interviewer le duo alors que dans le hall une foule d’adolescents déchaînés attendait bruyamment l’avant- première de cette comédie fantastique tenait de la gageure. Ensemble, Eric & Ramzy sont incontrôlables, doubles sous acide de Tic et Tac. Lorsqu’ils ne s’amusent pas avec le dictaphone enregistrant la rencontre, ils se jettent des verres d’eau à la figure, et quand on tente de cadrer la discussion ils s’essaient à d’improbables jeux de mots: «On a fait le meilleur film du monde de Narnia.» Ou encore: «On fonctionne à l’instinct… Alain Stinct, un mec très sympa!»
Huit ans après, voilà que l’on retrouve Ramzy en solo, venu à Lausanne assurer le service après-vente de Hibou, une comédie doucement surréaliste dont il est à la fois l’auteur, le réalisateur et l’acteur. «Vous verrez, lorsqu’il est seul, il n’est pas le même», nous avait rassuré un attaché de presse. En effet, surprise, c’est face à un Ramzy tout ce qu’il y a de calme que l’on prend place sur la terrasse d’un palace. Le comédien et humoriste a à coeur de défendre son projet, pas question de faire le malin en alignant les blagues potaches. A peine aura-t-on droit à quelques piques adressées au représentant de sa maison de production, la vénérable Gaumont, assis à une table proche. Drôle d’Oizo
Ramzy est vendeur au rayon vêtements des Galeries Lafayette lorsqu’il rencontre début 1995 Eric Judor, alors logisticien chez Bouygues. Les deux hommes s’entendent d’emblée comme larrons en foire et écrivent très vite un premier sketch. Ils le testent au Bec fin, un petit café-théâtre, avant de se retrouver sur le plateau de Michel Drucker. Une saison sur Fun Radio et plusieurs
spectacles plus loin, ils se font acteurs en 1998 pour la sitcom H, dont ils partagent la vedette avec Jean-Luc Bideau. Après quelques modestes apparitions au cinéma, La Tour Montparnasse infernale
connaît en 2001 un joli succès.
On tente alors d’aborder avec Ramzy l’expérience traumatisante des Dalton. En 2004, après une comédie policière ratée –
Double zéro, réalisée par le tâcheron Gérard Pirès –, le binôme se prend à rêver d’un western. Les deux complices écrivent avec Michel Hazanavicius (OSS 117)
Les Dalton, mais c’est finalement à Philippe Haïm qu’échoit la réalisation de ce long-métrage qui se vide alors de sa substance. «On n’avait pas le poids suffisant pour imposer notre vision, regrette Ramzy. Le film était bourré d’anachronismes, mais on n’avait jamais voulu ça… On était parti sur un western sale, mal filmé, et au final on s’est retrouvé avec un
dessin animé. Il y avait des tenants et des aboutissants qu’on ne maîtrisait pas.» Finalement, leur vision, ils l’imposeront en travaillant avec Quentin Dupieux, musicien electro sous le nom de Mr. Oizo et cinéaste iconoclaste qui, comme eux, aime le burlesque, le non-sens et le troisième degré.
C’est à travers Michel Gondry, qu’Eric & Ramzy ont poussé à accepter de diriger Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind plutôt que de tenir leur engagement avec eux, que les deux trublions rencontrent Dupieux. En résulte Steak, une comédie d’auteur à la limite de l’absurde en forme d’hommage au cinéma de genre américain. «Avec Quentin, on a découvert une nouvelle façon de rire», dit Ramzy. C’est dans ce film saignant que se trouve en quelque sorte la matrice de Hibou, une fable au synopsis fantasque, avec une touche poétique là où Steak se voulait absurde et décalé. Personnage discret et solitaire dont personne ne remarque l’existence, Rocky découvre un jour un grand-duc dans son salon. Dans le regard sévère du rapace, il semble voir comme une injonction: le voici qui décide de se déguiser en hibou. Raté, il reste transparent aux yeux des autres, si ce n’est de cette fille… déguisée en panda.
Hibou ne ressemble à rien de connu, et c’est là sa principale qualité. «Merci, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire», interrompt le comique. On embraie sur un «mais» bien appuyé, le Français se marre. Faire rire Ramzy, on ne pensait pas y parvenir… Le film ne ressemble donc à pas grand-chose, «mais» on sent quand même planer l’ombre de Jacques Tati et de son M. Hulot, comme lors d’une séquence dans une animalerie, on pense au fameux sketch du perroquet mort des Monty Python. Mais non, c’est l’ambiance de
Gremlins qu’il cherchait ici à évoquer. «J’aime autant les Monty Python que Tati ou Dumb and
Dumber, enchaîne-t-il. J’aime les gens qui font travailler ma tête, ou qui la reposent totalement. Pour ce film, j’ai essayé de travailler dans l’humilité. Une fois par jour, pendant le tournage, je me disais que ça ne marcherait pas. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a eu aucune improvisation.»
Hibou, c’est du Ramzy sans Eric, même si celui-ci y tient un petit rôle. Une émancipation nécessaire? «Après la réalisation de Seuls Two, on a compris qu’on avait changé, qu’on n’était plus les mêmes qu’il y a vingt ans. On a chacun nos propres velléités artistiques. Il y a l’univers d’Eric, il y a le mien, et il y a un dénominateur commun sur lequel on a fait vingt piges. On mourra avec ce dénominateur mais, pour que cela reste sain, il faut qu’on s’exprime aussi chacun de notre côté. Avec ce film, je veux prouver qu’entre Les
Dalton et Quentin Dupieux, il y a un milieu possible.»