Le Temps

Le clan Hun Sen règne sur l’économie du Cambodge

- JULIE ZAUGG, HONG KONG @Julie_zaugg

Les proches du premier ministre contrôlent tous les leviers économique­s de ce pays de 15 millions d’habitants, selon un rapport publié jeudi. L’une de ses soeurs distribue les produits de Nestlé

L’ONG britanniqu­e Global Witness a publié jeudi un rapport qui recense pour la première fois les liens d’affaires du clan du premier ministre cambodgien, Hun Sen. Cet ancien soldat khmer rouge tient son pays d’une main de fer depuis 1985. Il s’est construit une forteresse au sommet de l’Etat, en plaçant ses proches à tous les échelons du pouvoir et en leur permettant d’accaparer les principale­s ressources économique­s de ce pays.

Le rapport indique que les membres de cette famille sont directemen­t impliqués dans 114 entreprise­s. «Beaucoup de ces firmes se sont vues octroyer de lucratifs contrats publics et ont bénéficié d’un traitement préférenti­el pour obtenir des licences minières ou des terrains agricoles», note-t-il. La toile économique tissée par les proches du premier ministre a joué un rôle crucial dans son maintien au pouvoir. «Cela a accru la fortune personnell­e de la famille et lui a permis de récompense­r les élites, qui s’attendent à recevoir des «cadeaux» en échange de leur soutien, relève Global Witness. Sans ces revenus, le système mis en place par Hun Sen se serait déjà effondré.»

Parmi les entreprise­s contrôlées par des proches du régime figurent 17 firmes d’import-export, six compagnies minières, sept groupes immobilier­s et six sociétés énergétiqu­es. Trois des enfants du premier ministre, Hun Manith, Hun Mana et Hun Maly, possèdent la deuxième plus importante entreprise électrique du pays, Cambodia Electricit­y Private, qui fournit du courant à l’Etat. Sok Puthyvuth, le beau-fils de Hun Sen, dirige le congloméra­t Soma, qui est notamment chargé de réaliser une expansion de l’aéroport de Phnom Penh devisée à 100 millions de dollars. L’un de ses neveux, Hun To, un playboy impliqué dans une affaire de trafic de drogue, gère un réseau de stations pétrolière­s.

La palme revient à la fille aînée de Hun Sen

Mais la palme revient indubitabl­ement à la fille aînée de l’homme fort du Cambodge, Hun Mana. Elle est impliquée dans pas moins de 22 entreprise­s, qui vont des médias à la publicité en passant par le tourisme, la finance et la téléphonie mobile. Elle contrôle par exemple trois chaînes de TV, une radio et l’un des principaux quotidiens du pays. Ainsi que le musée situé sur le site archéologi­que d’Angkor Wat, trois compagnies aériennes et l’eau en bouteille Vital, utilisée lors de tous les événements officiels de l’Etat. Elle se trouve aussi derrière le groupe Orkidé Villa, qui va construire un complexe résidentie­l et commercial d’une valeur de 350 millions de dollars au coeur de Phnom Penh.

Plusieurs des entreprise­s liées aux proches de Hun Sen ont des liens avec des marques internatio­nales. Sa belle-nièce dirige iOne, le principal vendeur de produits Apple du pays, et Cemtes, qui distribue ceux de Canon. Hun Mana contrôle l’entreprise qui importe les appareils de Lenovo, Electrolux, Pioneer et Nokia.

Nestlé promet d’examiner le rapport

Certaines de ces ramificati­ons mènent en Suisse. La soeur cadette du premier ministre, Hun Seng Ny, se trouve à la tête de l’entreprise UNT Wholesale, qui distribue les produits de Nestlé au Cambodge. Cette firme fondée en 1993, qui emploie 200 personnes, s’occupe notamment de vendre le café soluble Nescafé, la poudre de cacao Milo, le lait en poudre Lactogen, les sauces Maggi et les glaces du groupe veveysan, selon son site internet.

Hung Seng Ny est un personnage controvers­é. Elle est liée à une douzaine de firmes, dans le domaine minier, le textile, la vente de horsbord et même l’élevage de macaques pour fournir des spécimens à l’industrie pharmaceut­ique, destinés aux essais cliniques. En 2010, l’une de ses sociétés, le groupe immobilier HLH Agricultur­e, a saisi des terres appartenan­t aux membres de l’ethnie Suy, sans leur offrir de compensati­on. Un rapport des Nations unies paru en 2012 l’accuse d’avoir noyé leurs champs et contaminé leurs sources d’eau. Une autre de ses entreprise­s, Garuda Group, a réprimé dans la violence une grève dans une usine textile en 2013.

Contacté, Nestlé indique que Global Witness lui a demandé de passer en revue ses relations d’affaires dans le pays. «Nous allons examiner en détail les conclusion­s du rapport», promet une porte-parole, tout en précisant que «Nestlé analyse en permanence ses opérations pour s’assurer qu’elles ne contrevien­nent à aucune loi ou norme internatio­nale».

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