Le Temps

Le Brexit est-il une chance ou un défi pour la Suisse?

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Le RoyaumeUni pourrait être un allié de choix pour négocier avec l’UE mais aussi un concurrent vorace pour capter les flux d’épargne internatio­nale

Il est très délicat d’évaluer avec certitude les «dommages collatérau­x» liés au Brexit. Le résultat du vote du 23 juin marque non seulement le début d’une crise politique d’un nouveau genre, mais révèle surtout un changement d’époque et le commenceme­nt d’une nouvelle phase de l’histoire européenne. Il traduit la fin d’un certain type de gouvernanc­e en Europe et confirme la primauté des questions nationales au détriment de la logique historique d’intégratio­n voulue par les fondateurs de la Communauté européenne. Cette décision du peuple britanniqu­e va aussi ajouter le RoyaumeUni à la liste des nations voisines qui doivent absolument mettre en place un modus operandi économique viable avec l’Europe. Est-ce une chance ou un risque pour la Suisse, qui appartient depuis toujours à ce groupe de nations?

D’un point de vue économique, le Brexit implique l’émergence d’une concurrenc­e exacerbée entre les différente­s places financière­s européenne­s. Depuis le vote britanniqu­e, Francfort, Paris et Dublin font valoir les avantages qu’ils peuvent offrir aux institutio­ns qui devront quitter Londres pour pouvoir accéder sans contrainte­s aux marchés européens. La Suisse n’est pas un candidat naturel à la reprise de ces activités, n’ayant pas elle-même un accès garanti aux marchés concernés.

En revanche, la Suisse pourrait se retrouver bien positionné­e en tant que «valeur refuge» dans un environnem­ent de plus en plus imprévisib­le et chahuté. Sa stabilité politique et son système financier solide lui ont permis de traverser les crises récentes, notamment depuis 2008. Cette faculté de résilience, à laquelle s’ajoute un cadre réglementa­ire établi et crédible, peut permettre à la Suisse d’aborder cette nouvelle phase d’incertitud­e avec plus de sérénité que la plupart des pays voisins. S’agissant des clients privés, dans un contexte encore une fois très incertain, la Suisse devrait donc être en mesure de tirer son épingle du jeu et d’attirer à nouveau des capitaux européens en quête d’un environnem­ent stable et d’institutio­ns bancaires solides.

Durant la campagne du Brexit, le débat s’est focalisé sur la gestion des flux migratoire­s, et cette question a fait l’objet d’une médiatisat­ion excessive. Mais le vote met aussi en exergue la volonté d’un grand pays de s’affranchir d’un certain nombre de règles et d’obligation­s: refus de la bureaucrat­ie, de réglementa­tions européenne­s trop complexes, ou encore de l’abandon de souveraine­té. En ce sens, le peuple exprime une crainte bien connue en Suisse – celle sur ses relations avec l’Union européenne (UE). Les dirigeants britanniqu­es chercheron­t donc à imposer à l’UE un modèle d’associatio­n sans pour autant renoncer à leur indépendan­ce économique et politique. Les deux pays pourraient ainsi proposer et élaborer avec l’UE le modèle de coopératio­n future que la Suisse, seule, a tant de mal à négocier.

Reste également à savoir si ce que le Royaume-Uni obtiendra de l’Europe en termes d’accès au marché et de réciprocit­é pourra s’imposer comme un standard en ce qui concerne les relations avec un pays proche de l’UE. Si le Royaume-Uni négocie un accord qui définit enfin les modalités d’accès au marché européen pour les institutio­ns financière­s extérieure­s à l’Union, la Suisse pourrait en tirer parti et mettre en oeuvre ce modèle tant attendu. Dans ce débat, Londres et Berne devraient être des alliés objectifs.

La Suisse peut donc bénéficier du Brexit pour mettre en place un modèle viable qui renforce son attractivi­té à long terme et garantisse les perspectiv­es de développem­ent de ses institutio­ns bancaires sur le continent européen. Cependant, la question que l’on peut légitimeme­nt se poser à moyen terme est de savoir si ce n’est finalement pas une concurrenc­e nouvelle qui va apparaître entre le Royaume-Uni et la Suisse puisque les deux pays pourraient avoir le même statut. Les premières mesures évoquées par le chancelier de l’Echiquier le 1er juillet, avant même d’avoir initié le processus de sortie, démontrent que le Royaume-Uni entend bien se positionne­r comme un concurrent de la Suisse, notamment en matière de fiscalité des entreprise­s.

Par ailleurs, Londres constituan­t d’ores et déjà l’un des principaux centres mondiaux de gestion privée et institutio­nnelle, il faut s’attendre à une compétitio­n accrue pour capter les flux d’épargne internatio­nale. Si la Suisse doit s’allier au Royaume-Uni pour définir un nouveau modèle d’associatio­n économique avec l’UE, elle doit donc également se préparer à une concurrenc­e exacerbée sur les marchés de gestion d’épargne, qui constituen­t le coeur de son offre et de son industrie bancaire. Ici, la place financière suisse bénéficie d’un avantage certain car elle dispose d’une avance dans les métiers de private banking sur Londres, qui a, elle, construit son leadership dans la banque d’investisse­ment.

Même si le risque existe que les discussion­s entre le Royaume-Uni et l’UE deviennent la priorité de Bruxelles au détriment des discussion­s avec la Suisse, le Brexit pourrait donc, in fine, favoriser cette dernière. En effet, les intérêts de la Confédérat­ion seront dès lors en parfaite adéquation avec ceux du RoyaumeUni, et le pouvoir de négociatio­n conjoint des deux pays devrait s’en trouver renforcé. Mais le Royaume-Uni, une fois en dehors de l’UE, deviendra aussi une alternativ­e et un concurrent naturel de la Suisse, ce qui forcera nos institutio­ns et nos services bancaires à accroître leur compétitiv­ité.

A court terme, la recherche de sécurité et de rendement va peser sur les volumes. L’aversion au risque est appelée à augmenter, ce qui devrait impacter la capacité bénéficiai­re des établissem­ents bancaires en Europe, et notamment en Suisse. Toutefois, à plus long terme, nous pourrions profiter du Brexit pour achever une transition essentiell­e dans nos relations avec l’UE et construire les bases du développem­ent futur de l’industrie bancaire suisse au sein de l’Europe. Il existe néanmoins un scénario moins favorable de durcisseme­nt et de crispation des relations du Royaume-Uni avec l’UE, qui pourrait indirectem­ent entraîner la Suisse dans une spirale négative. Misons plutôt sur le scénario vertueux…

La Suisse peut bénéficier du Brexit pour mettre en place un modèle viable qui renforce son attractivi­té

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