«Nous voulons être parmi les meilleurs»
Maria-Pia Victoria-Feser tire un bilan des deux ans passés à la tête de la nouvelle Faculté d’économie et de management de Genève. Le nombre de nouveaux étudiants a augmenté de 19%, attirés notamment par un bachelor bilingue
La naissance de la Faculté d’économie et de management, appelée Geneva School of Economics and Management (GSEM), s’est faite dans la douleur. Noyée jusqu’en 2014 dans la grande Faculté des sciences économiques et sociales (SES), HEC Genève n’avait pas d’identité forte. Son manque d’indépendance l’avait également empêchée d’obtenir l’accréditation Equis, label incontournable pour les facultés d’économie.
Professeure en statistique, Maria-Pia Victoria-Feser, 50 ans, a été nommée en 2014 pour diriger et dynamiser cette nouvelle Faculté d’économie et de management. Elle tire un bilan de ces deux ans à la tête de la GSEM.
Comment se porte la GSEM? Attiret-elle plus d’étudiants que l’ancienne HEC Genève, qui avait de la peine à s’imposer face à Lausanne ou Saint-Gall?
Les formations ont attiré 1566 étudiants en 2015, soit une augmentation des immatriculations de 19% alors qu’HEC Lausanne a perdu des étudiants. Le rayonnement de la GSEM en dehors de la Suisse est confirmé avec une forte mixité internationale aux niveaux des masters et du doctorat. En outre, la GSEM génère 61% de toute l’activité de formation en emploi de l’Université de Genève. Pour cette rentrée universitaire, nous nous attendons à des chiffres similaires.
Pourtant, la GSEM n’a pas encore obtenu le label Equis, garantissant ce qui se fait de mieux en matière d’enseignement du management…
La hausse de fréquentation est en grande partie due au bouche-àoreille. C’est aussi le côté «nouveau» de la faculté qui séduit les étudiants. En outre, nous sommes à Genève, ville qui attire les étudiants du monde entier. En ce qui concerne le label Equis, nous ne l’avons pas encore obtenu car nous sommes très jeunes. Il faut passer plusieurs audits réalisés par des professeurs et des doyens d’écoles internationales. Une équipe d’auditeurs établit un rapport de visite et des recommandations. Ensuite, c’est un comité d’accréditation qui accorde ou non le label. Notre objectif est de l’obtenir d’ici à 2020. Nous voulons figurer parmi le top 50 des facultés d’économie et de management européennes.
Depuis votre arrivée à la tête de la GSEM, quelles réformes avez-vous mises en place?
Nous avons réorganisé et restructuré l’administration de la faculté pour pouvoir garantir des processus de gouvernance clairs et efficaces. Nous avons recruté de nouveaux professeurs. Dix au total, dont trois sont issus de l’Université de Saint-Gall. Nous pouvons compter sur 37 professeurs et 14 personnes dans l’administration.
Au niveau de l’enseignement, quelle est votre valeur ajoutée?
Nous avons remplacé trois bachelors par un seul mais bilingue. Ce bachelor est unique en Suisse. Il remporte un vif succès avec 24% d’étudiants supplémentaires inscrits à la rentrée 2015. Durant la première année, les étudiants peuvent choisir de suivre tous les cours en anglais ou en français. L’enseignement est ainsi dédoublé. Puis, dès la deuxième année, le professeur enseigne dans la langue de son choix. Ce bachelor donne accès à l’ensemble de nos masters, y compris interdisciplinaires.
Qu’en est-il du contenu des cours?
Nous proposons un enseignement nouveau dans différents domaines. Nous avons par exemple introduit le jeu d’entreprise, aussi dénommé simulation d’entreprise ou business game. Il s’agit d’un outil pédagogique sous forme de jeu de rôle. Nous pouvons également compter sur l’intervention de nombreux intervenants externes. Notamment des chefs d’entreprise qui font part de leur expérience dans un milieu académique. D’un point de vue pédagogique, les étudiants ont aussi la possibilité d’obtenir des crédits pour des activités d’utilité publique impliquant des compétences managériales autour de la responsabilité sociale. Enfin, certains cours sont uniques, à l’exemple de celui de business analytics (analyse d’affaires) qui concerne l’exploitation des données pour des décisions managériales. Nous avons également développé le marketing analytics (analyse marketing), qui, bien qu’il étudie le comportement des consommateurs, se doit de passer du paradigme d’expérience en laboratoire à celui de l’étude des données produites, notamment les réseaux sociaux. A cet effet, nous avons engagé un jeune professeur de 29 ans seulement.
Vos professeurs du Geneva Finance Research ont lancé en février 2016 un nouveau MOOC (formation en ligne) sur le thème de l’«investment management». Comment a-t-il été accueilli?
A la mi-juin, ce MOOC comptait 20000 inscrits et 2000 diplômés. Ainsi, il figure dans le top 10 des formations à distance au monde. Il s’agit d’un réel succès. Toutefois, les cours à distance ne remplaceront jamais la formation académique. Ce MOOC est essentiellement un support de cours, au même titre que les livres. Ces derniers n’ont jamais remplacé l’enseignement en classe.
En tant que faculté d’économie, encouragez-vous les étudiants à créer leur entreprise?
Non, cela ne fait pas partie des programmes de formation initiale car nous sommes une faculté académique. Nous n’encadrons pas les projets de start-up mais enseignons les concepts d’esprit d’entreprise qui s’appliquent autant aux petites sociétés qu’aux multinationales. Nos étudiants savent construire des plans d’affaires, réaliser des études de marchés, des analyses de la concurrence ou des campagnes marketing. Ils sont ainsi armés pour créer, s’ils le souhaitent, une société. Chaque mois, d’ailleurs, je vois passer des projets de start-up. Mais nous ne souhaitons pas refaire un College of Management comme à l’EPFL. Nous n’avons d’ailleurs pas le budget pour le faire, ni l’envie de créer des doublons à 60 kilomètres de distance!
Quel est le taux d’échec en première année de la GSEM?
Trop haut, à mon avis. Il est de 50% en première année. Tout porteur d’une maturité suisse devrait pouvoir obtenir un bachelor s’il est motivé.
Qu’allez-vous entreprendre pour réduire ce taux d’échec?
Je suis moimême mère de trois enfants de respectivement 22, 19 et 16 ans. Je suis bien placée pour savoir qu’il faut, tôt ou tard, lâcher ses enfants dans la nature. Toutefois, je pense que les étudiants ne sont pas suffisamment encadrés durant leur première année d’études universitaires. C’est ce qu’il va falloir renforcer.
Un rapprochement avec HEC Lausanne pourrait-il être envisageable?
En 2014, personne ne voulait de nous, en raison de différences de fonctionnement, de taille ou de réputation. Désormais, les choses ont changé. Fusionner avec Lausanne n’est pas à l’agenda mais nous devons nous soutenir pour être plus fort mutuellement et trouver des économies d’échelle. Nous avons déjà abandonné le domaine académique – mais pas l’enseignement – de la comptabilité financière pour des questions d’arbitrage budgétaire. A la place, nous avons investi dans la science des données, le marketing et l’analyse financière. A terme, il faudra davantage collaborer, même si nous n’avons que deux ans d’existence alors qu’HEC Lausanne a plus de 100 ans.
Si vos enfants vous annonçaient vouloir faire leurs études à HEC Lausanne ou à Saint-Gall, quelle serait votre réaction?
Je leur dirais tout simplement qu’il y a plus d’opportunités à Genève qu’à Lausanne ou Saint-Gall. Mais, j’ai plutôt encouragé mes enfants à faire des études scientifiques.
Pourquoi, de votre côté, avez-vous choisi d’enseigner les statistiques?
J’ai grandi à Genève dans une famille ouvrière. Mon père était chauffeur livreur de mazout et ma mère faisait des ménages. A ce propos, une enquête produite par l’Observatoire de la vie estudiantine de l’Université de Genève a montré que le niveau socio-économique des étudiants de la GSEM était plus bas que celui de la Faculté des sciences de la société par exemple. Savezvous pourquoi? Parce que l’espérance de trouver un emploi bien rémunéré y est plus élevée. Lorsqu’on est issu d’une famille ouvrière, on ne peut pas se permettre de faire des études sans une garantie d’emploi. Pour revenir à ma personne, j’ai toujours aimé l’école, synonyme pour moi d’exutoire. J’avais une attirance particulière pour les mathématiques. J’ai commencé d’ailleurs des études scientifiques mais je ne voyais pas les perspectives professionnelles, raison pour laquelle j’ai bifurqué vers l’économie. Puis, je me suis spécialisée dans la statistique, une branche très utilisatrice des mathématiques.
«Lorsqu’on est issu d’une famille ouvrière, on ne peut pas se permettre de faire des études sans une garantie d’emploi»