Le Temps

«Serena refuse l’idée de perdre»

L’Américaine a remporté samedi son 22e tournoi du Grand Chelem, record de Steffi Graf égalé. L’analyse de son entraîneur

- ELISABETH PINEAU (LE MONDE)

Malgré la bonne résistance d’Angelique Kerber, Serena Williams n’a cette fois pas craqué. Samedi, l’Américaine de 35 ans a remporté Wimbledon pour la septième fois en dominant la N° 4 mondiale 7-5 6-3. C’est le 22e titre en Grand Chelem pour Williams qui égale le record de l’ère Open de Steffi Graf et se rapproche du record «toutes catégories» de Margaret Court (25).

Bien qu’elle s’en soit souvent défendue, la quête de ce 22e sacre était devenue une obsession pour Serena Williams, au point d’être passée au travers lors des trois précédents tournois, où elle craqua inexplicab­lement au moment décisif (défaite en demi-finale à l’US Open 2015, en finale à l’Open d’Australie et à Roland-Garros en 2016). «Cela m’a donné quelques nuits blanches en effet, a-t-elle admis après sa victoire. Je m’étais mis de la pression. Mon objectif, c’est de gagner au moins un titre majeur par an. J’ai eu des défaites difficiles. Mais il fallait arrêter de se focaliser sur ces défaites.» Vainqueur de 13 titres entre 1999 et 2010, Serena Williams en a remporté 9 autres (sur 17 possibles, un taux de réussite exceptionn­el de 52%) depuis Wimbledon 2012 et sa collaborat­ion avec l’entraîneur Patrick Mouratoglo­u. Le mois dernier dans une interview au Monde, le Français se défendait des critiques les plus récurrente­s sur le «phénomène Serena Williams».

Certains considèren­t que son ultra-domination fait perdre son intérêt au circuit WTA…

Que certains n’apprécient pas le tennis féminin, ce n’est pas un problème, les gens sont libres d’aimer ou de ne pas aimer. Ce qui me dérange, c’est quand on essaie de dévalorise­r le tennis féminin. Et surtout en utilisant des arguments qui, généraleme­nt, ne sont pas très pertinents. Le niveau est nul parce que Serena domine outrageuse­ment? Et Novak Djokovic, il perd beaucoup de matches? On a la même situation chez les hommes, pourtant ça ne choque personne. A Roland-Garros, je regardais jouer Bernard Tomic. Et je me disais, le joueur est top 20, mais il joue en marchant et en poussant la balle. J’étais avec Serena sur le court et je lui ai dit: «Tu te rends compte? Si c’était une fille qui jouait comme ça, on dirait que le niveau du tennis féminin est nul.»

Selon un récent sondage auprès de joueurs profession­nels, Serena se classerait aux alentours de la 500e place chez les hommes. C’est totalement farfelu?

La comparaiso­n entre les hommes et les femmes n’a aucun sens, ce sont deux sports complèteme­nt différents. C’est comme si on demandait combien Zidane vaut en tennis. Quelqu’un paierait pour aller voir le 500e mondial? Non.

Que répondez-vous à ceux qui la réduisent à un physique?

S’il suffisait d’un physique pour être numéro un, il y aurait beaucoup plus de dopage qu’il n’y en a! Contrairem­ent à l’athlétisme, au cyclisme ou à la natation, le tennis n’est pas un sport de performanc­e physique. Il y a une dimension physique mais c’est loin d’être celle qui prédomine. Parmi les âneries sur Serena, j’entends souvent: «Elle a de la chance, elle est hyperpuiss­ante.» Mais le volume musculaire, en tennis, c’est un énorme handicap car c’est un sport d’explosivit­é et de changement­s de direction. Ce qui compte pour développer de la vitesse et de la qualité de frappe, c’est le relâchemen­t et l’accélérati­on du poignet. Le volume musculaire, ça ne sert à rien. Le physique de Serena est inadapté au tennis.

Avant tout par son coup d’oeil monstrueux, c’est une joueuse qui anticipe très tôt. Mais si elle domine le tennis de cette façon, c’est aussi grâce à son mental absolument hors norme. Elle pense comme une gagnante et a cette faculté d’oublier ses victoires dans la minute qui suit, quand d’autres font la fête pendant dix ans. En 2013, quand elle a remporté Roland-Garros onze ans après son premier titre, pendant sa récupérati­on juste après la finale, elle m’a dit: «Maintenant, il faut gagner Wimbledon.» Elle était déjà passée à autre chose. Et Serena a cette espèce d’ego sur le terrain qui fait qu’elle refuse l’idée de perdre.

Comment compense-t-elle? Pour un coach, il est sûrement plus facile d’avoir à gérer un joueur doté de

Ce n’est pas une question de savoir si c’est facile ou pas, c’est la mentalité la plus adaptée pour gagner des grands titres et arriver au plus haut niveau, c’est certain. Je prends plaisir à l’entraîner mais je pense que c’est la personne la plus difficile du monde à entraîner. Parce que son niveau d’exigence est extrêmemen­t élevé. Elle fait peur à tout le monde, personne n’ose lui parler…

cet état d’esprit… Elle déclare «ne pas être une joueuse ordinaire». Est-ce de l’arrogance?

Pourquoi dire une vérité est-il perçu comme de l’arrogance? Bien sûr que ce n’est pas n’importe qui, c’est la plus grande joueuse de l’histoire. Encore un Grand Chelem à gagner et il n’y aura plus aucune discussion.

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(REUTERS) Serena Williams s’est offert samedi un septième sacre à Wimbledon en s’imposant en finale face à l’Allemande Angelique Kerber, 7-5 6-3.
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PATRICK MOURATOGLO­U ENTRAÎNEUR DE SERENA WILLIAMS

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