«La Haine», l’idéal black-blanc-beur
La Haine (1995) pourrait sortir aujourd’hui. Mathieu Kassovitz avait 27 ans, et sa maîtrise impressionne. Esthétiquement, le film n’a pas vieilli et ses «trucs» fonctionnent toujours aussi bien: une scène d’introduction sur fond de reggae qui ancre le film dans l’histoire contemporaine; un noir et blanc atemporel qui donne sa patine d’archives; l’usage de l’horloge pour scander l’action qui se déroule sur une journée; un beau travail sur les dialogues qui a laissé certaines expressions dans le langage courant; des cadrages virtuoses et une réhabilitation de la culture urbaine à travers une belle séquence de street dance, notamment. Le film a d’ailleurs connu une carrière internationale. OEuvre culte en citant deux autres – Scarface et
Taxi Driver – La Haine reste néanmoins un film d’avant 2000, et pas seulement parce qu’on n’y voit pas un seul téléphone portable. Encore dans l’euphorie de l’idéal black-blanc-beur, le film n’évoque pas une seule fois la question religieuse. Pas l’ombre d’une fille voilée – pas de filles du tout d’ailleurs – pas l’ombre d’un barbu ou d’un Coran. Une communauté homogène
A cette époque, ce sont les violences policières qui font la une des médias. Le récit se déroule d’ailleurs au lendemain d’une nuit d’émeutes, suite à la bavure d’un flic qui a mis dans le coma un jeune arabe lors d’une garde à vue.
Le film observe les réactions de trois amis de la victime: Vinz, juif blanc qui a soif de vengeance, Hubert, d’origine béninoise, qui ne pense qu’à quitter la cité et refuse d’ajouter de la violence à la violence, et Saïd qui fait le lien entre les deux. En dépit de leurs différences, ils forment une communauté homogène.
La banlieue est à la fois une zone de laissés-pourcompte – où les petits trafics et la vaillance des mères président à un quotidien tramé dans l’ennui – et une protection contre le monde extérieur. Aujourd’hui, elle serait déchirée par des conflits racistes et religieux.
En vingt-et-un ans, l’ennemi n’est plus seulement au-dehors, il est aussi au-dedans. Les choses n’ont fait qu’empirer.
Et le mantra du film «Jusqu’ici tout va bien… l’important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage» sonne comme une prophétie.