Penser l’Europe, une vocation suisse
Il est une réalité que le Brexit britannique fait remonter à la surface du continent européen: l’intégration communautaire, présentée trop souvent par ses partisans comme inéluctable, n’est pas une affaire linéaire. Les vents parfois mauvais de l’actualité, mais surtout les inquiétudes légitimes des peuples, peuvent à tout moment remettre en cause ce dessein commun épousé, dès l’après-guerre, pour forger une paix durable entre l’Allemagne et ses voisins.
Rendue évidente par la décision des Britanniques de sortir de l’Union à la suite d’une campagne caricaturale, avant tout focalisée sur l’exploitation des peurs, cette fragilité de l’édifice européen impose donc plus que jamais de rebattre les cartes et de réfléchir à l’avenir. A quoi ressemblera l’Union européenne dans quinze ans? Comment réconcilier l’idée judicieuse de la souveraineté partagée des Etats et le principe de la libre circulation avec l’aspiration des populations à conserver le contrôle de leur destin, que beaucoup continuent d’associer aux frontières et à l’exercice national des fonctions régaliennes: police, justice, émission de la monnaie?
Comment, surtout, concilier la complexité croissante de la planète mondialisée – dans laquelle l’Europe n’a pas d’autre choix que de s’unir pour espérer tenir son rang et défendre ses intérêts – avec l’appétit croissant des électeurs pour des solutions simples, voire simplistes, bien souvent erronées et dangereuses?
Dans cette réflexion, la Confédération occupa jadis le premier rang. Notre série d’été «La Suisse, témoin de l’Europe» raconte, au travers d’archives souvent inédites et de portraits de personnages parfois oubliés, combien ce pays fut, au sortir du second conflit mondial, le lieu de discussions et de négociations passionnées. Le fédéralisme helvétique était cité en exemple. Des décisions aussi cruciales que la formation du CERN, ce cerveau nucléaire européen, furent mûries sur les bords du Léman. Au point que Jean Monnet, on le sait, décida à la fin de sa vie d’expédier l’intégralité de ses archives à Lausanne, sous la bonne garde de la fondation qui porte son nom.
Penser l’Europe est une vocation de la Suisse. Elle s’impose par la géographie, par l’histoire, et par les nécessités économiques. Le pire, sous prétexte d’impasse bilatérale, serait donc d’y renoncer à l’heure où le vote britannique ouvre une brèche béante et dangereuse. Se réjouir du Brexit ne fait que nourrir nos illusions. Le «génie helvétique», s’il existe, doit au contraire, comme dans les années cinquante, se mettre au service de l’Europe pour l’aider à avancer et à imaginer les indispensables sorties de crise.
Le fédéralisme helvétique était cité en exemple