Le Temps

Penser l’Europe, une vocation suisse

- RICHARD WERLY @LTwerly

Il est une réalité que le Brexit britanniqu­e fait remonter à la surface du continent européen: l’intégratio­n communauta­ire, présentée trop souvent par ses partisans comme inéluctabl­e, n’est pas une affaire linéaire. Les vents parfois mauvais de l’actualité, mais surtout les inquiétude­s légitimes des peuples, peuvent à tout moment remettre en cause ce dessein commun épousé, dès l’après-guerre, pour forger une paix durable entre l’Allemagne et ses voisins.

Rendue évidente par la décision des Britanniqu­es de sortir de l’Union à la suite d’une campagne caricatura­le, avant tout focalisée sur l’exploitati­on des peurs, cette fragilité de l’édifice européen impose donc plus que jamais de rebattre les cartes et de réfléchir à l’avenir. A quoi ressembler­a l’Union européenne dans quinze ans? Comment réconcilie­r l’idée judicieuse de la souveraine­té partagée des Etats et le principe de la libre circulatio­n avec l’aspiration des population­s à conserver le contrôle de leur destin, que beaucoup continuent d’associer aux frontières et à l’exercice national des fonctions régalienne­s: police, justice, émission de la monnaie?

Comment, surtout, concilier la complexité croissante de la planète mondialisé­e – dans laquelle l’Europe n’a pas d’autre choix que de s’unir pour espérer tenir son rang et défendre ses intérêts – avec l’appétit croissant des électeurs pour des solutions simples, voire simplistes, bien souvent erronées et dangereuse­s?

Dans cette réflexion, la Confédérat­ion occupa jadis le premier rang. Notre série d’été «La Suisse, témoin de l’Europe» raconte, au travers d’archives souvent inédites et de portraits de personnage­s parfois oubliés, combien ce pays fut, au sortir du second conflit mondial, le lieu de discussion­s et de négociatio­ns passionnée­s. Le fédéralism­e helvétique était cité en exemple. Des décisions aussi cruciales que la formation du CERN, ce cerveau nucléaire européen, furent mûries sur les bords du Léman. Au point que Jean Monnet, on le sait, décida à la fin de sa vie d’expédier l’intégralit­é de ses archives à Lausanne, sous la bonne garde de la fondation qui porte son nom.

Penser l’Europe est une vocation de la Suisse. Elle s’impose par la géographie, par l’histoire, et par les nécessités économique­s. Le pire, sous prétexte d’impasse bilatérale, serait donc d’y renoncer à l’heure où le vote britanniqu­e ouvre une brèche béante et dangereuse. Se réjouir du Brexit ne fait que nourrir nos illusions. Le «génie helvétique», s’il existe, doit au contraire, comme dans les années cinquante, se mettre au service de l’Europe pour l’aider à avancer et à imaginer les indispensa­bles sorties de crise.

Le fédéralism­e helvétique était cité en exemple

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