L’enquête sur l’affaire Adeline coûtera près de 1 million de francs
GENÈVE Quinze députés, trois experts indépendants, des collaborateurs du parlement genevois réquisitionnés et des centaines d’heures de travaux conduisent les coûts de fonctionnement de la commission d’enquête parlementaire à prendre l’ascenseur
Près d’un million de francs. Selon nos informations, il s’agit là de l’enveloppe qu’aura consacrée le canton de Genève pour financer les travaux de sa commission d’enquête parlementaire (CEP), chargée depuis le 12 mars 2015 d’investiguer sur les «dysfonctionnements ayant conduit à la mort d’Adeline M.». La sociothérapeute avait été assassinée en septembre 2013 par un délinquant sexuel lors d’une sortie accompagnée du centre La Pâquerette. Ce coût important ne manque pas de générer un certain scepticisme dans les travées du parlement genevois, tout du moins parmi les députés qui ne siègent pas dans cette commission. Plusieurs d’entre eux se montrent dubitatifs quant à l’efficience d’un organe ayant très peu servi depuis sa création il y a seize ans, et qui, pour le coup, s’avère gourmand en ressources financières. Alors même que trois rapports, dont un volumineux, ont déjà atterri sur le bureau des parlementaires.
Interpellé sur les montants consacrés à l’enquête menée par la CEP, le sautier du Grand Conseil se refuse à les commenter. «Notre secrétariat n’est pas habilité à communiquer les coûts des travaux de commissions, d’autant plus que ces travaux ne sont pas encore terminés», fait savoir Maria Anna Hutter. Selon plusieurs sources, les 15 membres de la CEP auraient accumulé «plus de 200 heures» à siéger sur les bancs de la commission sur une période s’étalant sur dix-huit mois. Rémunérés 110 francs par heure, 165 francs pour son président et son rapporteur, les commissaires auraient déjà coûté près d’un demi-million de francs en seuls jetons de présence. A ce premier montant, il faut encore additionner les heures de travail individuel de chaque élu, les rémunérations des trois experts externes mandatés par la commission – soit 250000 francs supplémentaires environ – ainsi que les salaires des collaborateurs du secrétariat du Grand Conseil mis à disposition de la commission (un procès-verbaliste, un collaborateur scientifique et son assistant). Enfin, les débats autour des conclusions de la CEP seront, eux aussi rémunérés. Le parlement, réunissant théoriquement 100 députés, s’emparera du rapport en septembre.
Trop cher? Député et membre de la CEP, le démocrate-chrétien Vincent Maitre concède que le coût de «cette machine lourde» est important. «Mais c’est la matière éminemment sensible du dossier et le volume colossal de l’information à traiter qui l’impliquent. Il a fallu passer au peigne fin deux départements entiers (Sécurité et Santé, ndlr)», argue l’avocat qui rappelle que les commissaires ont été contraints de consulter tous les documents et autre procès-verbaux «sur place», par souci de confidentialité. «Par ailleurs, nous avons essuyé plusieurs retards dans nos demandes de documentation, il a parfois fallu insister pour les obtenir, ce qui a engendré des délais supplémentaires et donc des coûts.» Une autre question, tout aussi lancinante dans ce dossier, demeure celle des compétences des membres de la CEP, peu rompus à l’exercice de l’enquête. «En confiant seulement cette mission à des experts indépendants, l’enquête aurait été plus rapide et probablement moins chère. Mais, par contre, elle aurait été moins démocratique et sujette à toutes les suspicions, puisque prêtant le flanc aux critiques quant à l’indépendance de rapports commandés par le gouvernement.»
Celui qui a présidé les travaux de la CEP jusqu’au mois de juin, l’ancien député Jean Sanchez (MCG), justifie le montant investi: «Nous avons constaté que des audits avaient été conduits de manière partielle. Des dizaines de personnes n’avaient pas été auditionnées. Les experts le reconnaissent d’ailleurs. Je ne critique pas leur travail, je dis que les délais donnés par le Conseil d’Etat étaient trop courts.» Quant au fait de questionner les coûts sans avoir eu connaissance des conclusions, l’ex-numéro deux de la police genevoise considère cette attitude «douteuse». «Je pense que c’est surtout indécent d’abord vis-à-vis de la famille, du conjoint et de la descendance, ensuite vis-à-vis du travail de la commission.»
Cependant, nombreux sont les députés (y compris au sein même de la CEP) à juger que le coût de fonctionnement de l’organe d’investigation parlementaire n’est pas une question taboue. C’est le cas de l’écologiste François Lefort qui a déposé en février 2016 un projet de loi visant à ramener de 15 à 7 – soit un membre par parti représenté au Grand Conseil – le nombre d’élus composant les commissions d’enquête parlementaires. Aux yeux du député, la cherté de ce type de commission conduit le parlement à se montrer méfiant lorsqu’il s’agit de se prononcer sur sa constitution. «Une composition plus réduite, mais tout aussi représentative de la diversité du parlement, permettra aux CEP d’exercer plus fréquemment leurs investigations et de manière plus efficiente. Sans compter qu’une composition restreinte minimiserait les risques de fuites d’informations à la presse.» Gelé en commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, dans l’attente de la présentation du rapport sur l’affaire Adeline, le projet de loi devrait ressurgir en plénière d’ici à l’automne.■
«Il est indécent de discuter de coûts» JEAN SANCHEZ, EX-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION