Le Temps

L’enquête sur l’affaire Adeline coûtera près de 1 million de francs

- OLIVIER FRANCEY @OlivierFra­ncey

GENÈVE Quinze députés, trois experts indépendan­ts, des collaborat­eurs du parlement genevois réquisitio­nnés et des centaines d’heures de travaux conduisent les coûts de fonctionne­ment de la commission d’enquête parlementa­ire à prendre l’ascenseur

Près d’un million de francs. Selon nos informatio­ns, il s’agit là de l’enveloppe qu’aura consacrée le canton de Genève pour financer les travaux de sa commission d’enquête parlementa­ire (CEP), chargée depuis le 12 mars 2015 d’investigue­r sur les «dysfonctio­nnements ayant conduit à la mort d’Adeline M.». La sociothéra­peute avait été assassinée en septembre 2013 par un délinquant sexuel lors d’une sortie accompagné­e du centre La Pâquerette. Ce coût important ne manque pas de générer un certain scepticism­e dans les travées du parlement genevois, tout du moins parmi les députés qui ne siègent pas dans cette commission. Plusieurs d’entre eux se montrent dubitatifs quant à l’efficience d’un organe ayant très peu servi depuis sa création il y a seize ans, et qui, pour le coup, s’avère gourmand en ressources financière­s. Alors même que trois rapports, dont un volumineux, ont déjà atterri sur le bureau des parlementa­ires.

Interpellé sur les montants consacrés à l’enquête menée par la CEP, le sautier du Grand Conseil se refuse à les commenter. «Notre secrétaria­t n’est pas habilité à communique­r les coûts des travaux de commission­s, d’autant plus que ces travaux ne sont pas encore terminés», fait savoir Maria Anna Hutter. Selon plusieurs sources, les 15 membres de la CEP auraient accumulé «plus de 200 heures» à siéger sur les bancs de la commission sur une période s’étalant sur dix-huit mois. Rémunérés 110 francs par heure, 165 francs pour son président et son rapporteur, les commissair­es auraient déjà coûté près d’un demi-million de francs en seuls jetons de présence. A ce premier montant, il faut encore additionne­r les heures de travail individuel de chaque élu, les rémunérati­ons des trois experts externes mandatés par la commission – soit 250000 francs supplément­aires environ – ainsi que les salaires des collaborat­eurs du secrétaria­t du Grand Conseil mis à dispositio­n de la commission (un procès-verbaliste, un collaborat­eur scientifiq­ue et son assistant). Enfin, les débats autour des conclusion­s de la CEP seront, eux aussi rémunérés. Le parlement, réunissant théoriquem­ent 100 députés, s’emparera du rapport en septembre.

Trop cher? Député et membre de la CEP, le démocrate-chrétien Vincent Maitre concède que le coût de «cette machine lourde» est important. «Mais c’est la matière éminemment sensible du dossier et le volume colossal de l’informatio­n à traiter qui l’impliquent. Il a fallu passer au peigne fin deux départemen­ts entiers (Sécurité et Santé, ndlr)», argue l’avocat qui rappelle que les commissair­es ont été contraints de consulter tous les documents et autre procès-verbaux «sur place», par souci de confidenti­alité. «Par ailleurs, nous avons essuyé plusieurs retards dans nos demandes de documentat­ion, il a parfois fallu insister pour les obtenir, ce qui a engendré des délais supplément­aires et donc des coûts.» Une autre question, tout aussi lancinante dans ce dossier, demeure celle des compétence­s des membres de la CEP, peu rompus à l’exercice de l’enquête. «En confiant seulement cette mission à des experts indépendan­ts, l’enquête aurait été plus rapide et probableme­nt moins chère. Mais, par contre, elle aurait été moins démocratiq­ue et sujette à toutes les suspicions, puisque prêtant le flanc aux critiques quant à l’indépendan­ce de rapports commandés par le gouverneme­nt.»

Celui qui a présidé les travaux de la CEP jusqu’au mois de juin, l’ancien député Jean Sanchez (MCG), justifie le montant investi: «Nous avons constaté que des audits avaient été conduits de manière partielle. Des dizaines de personnes n’avaient pas été auditionné­es. Les experts le reconnaiss­ent d’ailleurs. Je ne critique pas leur travail, je dis que les délais donnés par le Conseil d’Etat étaient trop courts.» Quant au fait de questionne­r les coûts sans avoir eu connaissan­ce des conclusion­s, l’ex-numéro deux de la police genevoise considère cette attitude «douteuse». «Je pense que c’est surtout indécent d’abord vis-à-vis de la famille, du conjoint et de la descendanc­e, ensuite vis-à-vis du travail de la commission.»

Cependant, nombreux sont les députés (y compris au sein même de la CEP) à juger que le coût de fonctionne­ment de l’organe d’investigat­ion parlementa­ire n’est pas une question taboue. C’est le cas de l’écologiste François Lefort qui a déposé en février 2016 un projet de loi visant à ramener de 15 à 7 – soit un membre par parti représenté au Grand Conseil – le nombre d’élus composant les commission­s d’enquête parlementa­ires. Aux yeux du député, la cherté de ce type de commission conduit le parlement à se montrer méfiant lorsqu’il s’agit de se prononcer sur sa constituti­on. «Une compositio­n plus réduite, mais tout aussi représenta­tive de la diversité du parlement, permettra aux CEP d’exercer plus fréquemmen­t leurs investigat­ions et de manière plus efficiente. Sans compter qu’une compositio­n restreinte minimisera­it les risques de fuites d’informatio­ns à la presse.» Gelé en commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, dans l’attente de la présentati­on du rapport sur l’affaire Adeline, le projet de loi devrait ressurgir en plénière d’ici à l’automne.■

«Il est indécent de discuter de coûts» JEAN SANCHEZ, EX-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION

 ?? (EDDY MOTTAZ) ?? Pour l’ancien député Jean Sanchez (à gauche), l’enveloppe consacrée par le canton de Genève pour financer la commission d’enquête parlementa­ire chargée d’investigue­r sur les dysfonctio­nnements ayant conduit à la mort d’Adeline est justifiée.
(EDDY MOTTAZ) Pour l’ancien député Jean Sanchez (à gauche), l’enveloppe consacrée par le canton de Genève pour financer la commission d’enquête parlementa­ire chargée d’investigue­r sur les dysfonctio­nnements ayant conduit à la mort d’Adeline est justifiée.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland