Pékin veut s’imposer en mer de Chine
La Cour permanente de La Haye doit rendre son verdict mardi dans le différend territorial qui oppose les Philippines à la Chine. Une décision attendue en faveur de Manille alors que les tensions ne cessent de grandir, impliquant aussi les Etats-Unis
Pékin a prévenu tout le monde. La sentence attendue ce mardi dans le différend maritime avec les Philippines ne vaudra rien et ne sera pas respectée. Ce n’est qu’un «bout de papier», a encore tonné lundi le Global Times, tandis que le Quotidien du peuple, un autre média au service du pouvoir chinois, jugeait que la Chine était «victime» d’une cour acquise aux intérêts des Etats-Unis.
Nombre d’experts anticipent une décision en faveur de Manille, alors que plusieurs autres pays s’opposent aussi aux ambitions de Pékin en mer de Chine méridionale. La tension est exacerbée à la fois par la militarisation d’une série d’îlots par l’armée chinoise et par les manoeuvres à proximité de la marine américaine, au nom de la liberté de navigation dans les eaux internationales. Si, en réponse au verdict, Pékin déclarait prendre le contrôle aérien des eaux contestées, comme d’aucuns l’envisagent, les Etats-Unis, alliés des Philippines, se verraient «forcés» d’agir, a déclaré début juin le secrétaire d’Etat américain, John Kerry.
Depuis des semaines, le régime communiste multiplie les initiatives pour dénigrer l’action lancée par Manille en 2013. Le gouvernement philippin alors en place avait appelé la Cour permanente d’arbitrage (CPA), à La Haye, à juger illégale la souveraineté revendiquée par Pékin sur une série d’îlots situés sur une les voies maritimes les plus fréquentées. Le cas du récif de Scarborough est un des points de tension. Il est situé à 220kilomètres des côtes philippines, mais à plus de 1000 km de la Chine.
Manille estime que Pékin ne respecte pas la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Cnudem), que la Chine a pourtant signée. Les Philippines ne peuvent ainsi librement exercer leur droit de pêche et d’exploration des ressources énergétiques en sous-sol. Pékin est en outre accusé d’avoir dégradé l’environnement en détruisant des récifs.
La Chine voit les choses tout autrement et n’entend laisser personne contester son autorité. Vendredi, pour montrer sa détermination, la marine chinoise a conduit des manoeuvres avec des missiles réels dans la région des Paracels, à l’ouest du récif de Scarborough, a écrit le PLA Daily, l’organe de presse de l’armée. Il y a quelques semaines, à Hongkong, les autorités chinoises avaient convoqué la presse étrangère pour faire valoir ses arguments, appelant à «ses amis de la presse» à couvrir le sujet de façon «objective et équilibrée» et à «faire plus pour maintenir la paix et la stabilité» en mer de Chine méridionale.
Un des principaux arguments mis en avant par Pékin est historique. Song Ru’an, un haut responsable de Pékin en poste à Hongkong, avait montré la reproduction d’une peinture. Y figurait le navigateur Zheng He, au XVe siècle, lors d’un de ses voyages «amicaux» dans la région, démontrant le rôle actif de la Chine dans la région.
Plus stratégique que le canal de Suez
Pékin avance aussi sa carte aux neuf pointillés qui remonte aux années 1940, et qui détermine l’étendue de sa souveraineté, soit près de 80% de la mer de Chine méridionale, un espace aussi vaste que la Méditerranée. Le verdict négatif de La Haye remettrait cette carte en question. Autre argument, juridique cette fois: la Cnudem n’a pas pour vocation de régler les différends territoriaux. Pékin conteste la légalité de l’arbitrage et a refusé d’y participer, même si la CPA s’est déclarée compétente.
Enfin, la Chine n’a de cesse de rappeler qu’elle tient à la stabilité dans la région. Elle estime que 80% de l’énergie qu’elle importe et 40% de son commerce de biens empruntent la mer de Chine méridionale. Elle avance que 15 millions de barils de pétrole y transitent chaque jour, trois fois plus que via le canal de Suez. «Nous sommes désireux, plus que quiconque, [d’y] maintenir la liberté de navigation», déclarait Song Ru’an.
Les Philippines ont pourtant reçu un nombre important de soutiens, dont les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Union européenne. Lors de sa dernière réunion, fin mai au Japon, le G7 s’est inquiété de la montée des tensions en mer de Chine du Sud et a appelé à une gestion pacifique des différends.
La Chine, de son côté, a aussi cherché des appuis internationaux. Cependant, outre son allié russe, seuls des pays de moindre envergure, comme la Mauritanie ou le Venezuela, lui ont apporté leur soutien.
Dans ces conditions, tous les regards se tourneront mardi vers Manille, car le gouvernement Aquino, qui a lancé l’arbitrage, n’est plus au pouvoir. Depuis le 30 juin, les Philippines sont dirigées par Rodrigo Duterte, qui semble rompre avec la politique de son prédécesseur. Il a été félicité par Xi Jinping qui l’a appelé à remettre les relations entre les deux pays sur la voie de la coopération.
La presse philippine a évoqué des contreparties financières de la part de Pékin si Manille se montrait plus conciliant. Vendredi, le ministre philippin des Affaires étrangères a affirmé à l’AFP que le nouveau gouvernement est prêt à partager l’exploitation des réserves de gaz naturel et de la pêche avec la Chine. La réaction de Rodrigo Duterte est jugée d’autant plus cruciale qu’il n’existe pas de mécanisme pour contraindre la Chine à appliquer la sentence.