Le Temps

Le village chinois de Wukan se rebelle contre le gouverneme­nt

Ces dernières semaines, les habitants de Wukan, un hameau du sud de la Chine, sont descendus dans la rue pour dénoncer l’arrestatio­n de leur chef. Mais leur mouvement a été réprimé dans la violence

- CLÉMENT BÜRGE, HONGKONG @ClementBur­ge

Le 20 juin dernier, des milliers de manifestan­ts sont descendus dans les rues de Wukan, un village de 13000 habitants situé dans la province de Guangdong, dans le sud de la Chine. Agitant des petits drapeaux chinois, les militants ont proclamé leur soutien à Lin Zuluan, le secrétaire général du Parti communiste local, âgé de 72 ans. «Lin Zuluan est innocent! Il aime le peuple, il aime le parti, il aime sa nation!» a scandé la foule. Une scène sans précédent dans la Chine autoritair­e du président Xi Jinping.

Le petit village de Wukan avait déjà fait la une de la presse internatio­nale en 2011. Ses habitants avaient organisé des manifestat­ions pour dénoncer la vente illégale, par des membres du gouverneme­nt, de terrains leur appartenan­t à des promoteurs immobilier­s. Des milliers de villageois en colère s’étaient alors emparés du poste de police et des bureaux du gouverneme­nt local.

Une première en Chine

Après trois mois d’affronteme­nts, le secrétaire du parti provincial, Wang Yang, avait accordé au village le droit d’élire démocratiq­uement un nouveau dirigeant. Une première en Chine. Ces élections avaient mené Lin Zuluan, l’un des principaux protestata­ires, au pouvoir. Et le village était devenu un symbole de démocratie en Chine.

Mais le 18 juin 2016 à minuit, une troupe de policiers d’élite a kidnappé Lin Zuluan chez lui. Les autorités l’ont accusé publiqueme­nt d’abus de pouvoir et de corruption. Le 20 juin, le vieillard est apparu à la télévision pour confesser ses crimes.

Pour les villageois, il ne s’agissait que d’une vaste mise en scène. Selon eux, les autorités ont arrêté Lin Zuluan, car leur leader appelait la population à se rebeller à nouveau. Entre 3000 et 4000 personnes sont descendues dans la rue pour exiger la libération immédiate de leur héros, rapportent les médias locaux.

Mais les autorités étaient mieux préparées qu’en 2011. La foule a été accueillie à coup de gaz lacrymogèn­es, de véhicules blindés et de policiers équipés de fusils, de matériel antiémeute et de drones. Elle a dû se replier.

Leaders en fuite

Depuis, les leaders de ce mouvement ont fui ou démissionn­é de leurs postes: l’un d’entre eux, Zhuang Liehong, a quitté la Chine et a demandé l’asile politique aux Etats-Unis; un autre, Sun Wenliang, est recherché par la police. La population vit désormais dans l’angoisse constante: des patrouille­s bénévoles surveillen­t les maisons des proches des protestata­ires, les habitants dorment la lumière allumée et gardent des gongs à côté de leurs lits pour avertir le reste du village en cas d’assaut.

La police a désormais anéanti les espoirs démocratiq­ues de Wukan. «Il y a cinq ans, le gouverneme­nt de Hu Jintao était bien plus progressis­te que celui de Xi Jinping, ce qui a permis à cette expérience populaire d’émerger, explique Willy Lam, un analyste politique auprès la Chinese University of Hongkong. En plus de cela, le président chinois craint que le ralentisse­ment économique que la Chine subit actuelleme­nt ne provoque des manifestat­ions dans les campagnes. La répression qu’a subie Wukan est un avertissem­ent: protestez, et nous viendrons vous arrêter.»■

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