Quand la scène dialogue avec la pellicule
Inventeur du cinéma-théâtre dans les années 80, le Belge Marc Hollogne présente au Théâtre 2.21, à Lausanne, un spectacle qui montre comment il a trébuché. Un talent fou, mais un ton daté
C’est un homme-orchestre. Un homme planète. Voire un homme univers. Marc Hollogne n’est pas qu’un artiste belge qui chante, danse, joue la comédie et a inventé le cinéma-théâtre, une technique qui a connu un succès prodigieux dans les années 90. Marc Hollogne est aussi un personnage hors du commun dont la vie est un roman et dont le destin chaotique ajoute à ses spectacles une note dramatique. La preuve? «Marciel l’enchanteur et l’huissier saisissant», à voir cette semaine encore au Théâtre 2.21, à Lausanne. Une création à la fois géniale et déchirante, où, à coup de mises en abyme qui reviennent sur son passé, le drôle parle de la chance, mais aussi de la difficulté d’être ce qu’il est.
Du talent, beaucoup de talent. Trop? A la sortie de cette production, on se pose cette question alors que le Portugal fête sa victoire à coup de klaxons. A l’image de la déferlante sonore, il y a quelque chose de tonitruant, de too much dans la proposition de l’amuseur-mystificateur. Le magicien belge maîtrise à la perfection le dialogue entre cinéma et théâtre, mais il semble parfois prisonnier de sa fascination pour les tours de passe-passe, au point d’oublier qu’un récit avance aussi masqué. Sur la gauche du plateau, un écran sur lequel défilent des séquences de films qui retracent ses grands succès. Sur la droite, des bottes de paille et un piano, décor de fortune dans lequel l’artiste évolue en direct et en dialogue constant avec l’écran. L’argument? Misères et splendeurs du génial Marciel, double de l’auteur, qui a fait les grands titres des médias avec sa trouvaille de cinéthéâtre avant d’être grugé par un producteur véreux – tout est vrai – et de se retrouver, au propre et au figuré, sur la paille. Dès lors, réfugié chez des amis paysans, le comique reçoit la visite d’un huissier plus que cliché – lunettes carrées, complet sombre, moustache et esprit serré – à qui l’ancienne gloire parisienne va raconter son parcours à coups d’extraits. C’est, bien sûr, Marc Hollogne qui compose les deux personnages, l’un filmé, l’autre en live, pour, d’une part, sidérer le public avec sa maestria de transformiste et, d’autre part, exprimer peut-être le conflit intérieur entre les côtés censeur et amuseur de sa personnalité.
Ce face-à-face entre lui et lui est passionnant. Et lorsque l’huissier devient complice de sa propre mystification, le passage est très parlant à notre époque où les frontières entre identité réelle et virtuelle sont de plus en plus floues. En revanche, les séquences précédentes – la famille italienne, le snob parisien, le duo méridional, la piscine ou encore l’aristo XVIIIe qui se transforme en monstre – ces moments, sans doute renversants hier, font très old fashion aujourd’hui. Image à gros grain, esthétique et jeu datés, l’essentiel du spectacle semble tiré d’une vieille malle à souvenirs. Ce qui n’enlève rien à la prouesse du comédien qui interagit avec les personnages et les situations filmées de manière absolument confondante.
«Lorsque Marc Hollogne sort de scène, il est en nage, vidé, il a tout donné», commente Michel Sauser, directeur du Théâtre 2.21, à Lausanne, qui a prolongé sa saison avec cette production vu le succès rencontré lors des représentations dans le cadre du festival Ô Vallon. «C’est cet engagement que je salue en l’accueillant ici, cet été, et en le programmant en décembre prochain avec une nouvelle création.» Dans ce travail à venir, Marc Hollogne jouera avec les films qu’il a réalisés lorsqu’il a passé deux ans aux côtés de Maurice Béjart, témoin attentif et privilégié des discussions de création et autres débats de la compagnie. Car, en plus d’une voix et d’un art pour la composition de chansons, l’artiste belge a un oeil qui lui a valu d’être retenu pour la dernière édition de «La Course autour du monde», ce fleuron de la TSR ancienne manière. De belles qualités qui l’ont encore amené à travailler avec Jacques Higelin ou à organiser les 80 ans de Charles Trenet au début des années 90.
Trenet, Higelin père, «La Course autour du monde»… Des vignettes vintage. Pour sa prochaine création à Lausanne, Marc Hollogne a un défi. Trouver un prolongement contemporain à son talent, une offre raccord avec les mondes numériques ou non, mais sensible aux langages actuels. Parfois le talent enferme. Alors, il n’est plus une bénédiction, mais une prison.n