La chute de l’Etat islamique à Syrte
L’issue de la bataille ne fait aucun doute: l’Etat islamique va être chassé de l’ancien fief de Kadhafi qui fut sa capitale libyenne pendant un an. Mais la guerre de quatre mois laissera des traces profondes chez les vainqueurs et dans la ville
Dans l’ancien fief de Kadhafi, qui fut durant un an la capitale de l’Etat islamique, les derniers combattants de Daech sont sur le point de capituler face aux forces du gouvernement d’union nationale. Quatre mois de combats qui ont laissé des stigmates. Reportage.
Le trou dans le mur est si étroit qu’Ahmed tient ses jumelles à la verticale, obligé de ne scruter que d’un oeil. Assis sur une table d’école au deuxième étage de l’établissement Mayham Shamela situé dans le quartier numéro 3 à l’est de Syrte, l’adolescent de 19 ans a une tâche bien déterminée: observer et rapporter les va-et-vient des combattants de Daech (l’acronyme arabe de l’Etat islamique) qui sont massés 200 mètres plus loin. «Quand je vois un homme bouger dans la rue, comme ce matin, je regarde dans quel bâtiment il se réfugie. Je donne les informations à celui qui est chargé de la radio qui prévient alors les autres.» Les tâches sont bien réparties au sein de la brigade «Défense Misrata» qui tient l’école. Un site stratégique situé sur la ligne de front à proximité du bureau local de la banque centrale, à quelques centaines de mètres du port de Syrte.
Les partisans de l’Etat islamique ne seraient plus que 120, selon le conseil militaire de la ville de Misrata où se trouve le centre de commandement général. Les djihadistes sont pris au piège dans une zone d’à peine 1 kilomètre carré totalement encerclée par les forces de l’opération «Al-Bunyan al-Marsous» («Structure solide»), bras armé du gouvernement d’union nationale. La victoire n’est qu’une question de jours. Pour autant, les combattants libyens sont loin d’être soulagés. Les quatre mois de combat ont laissé des stigmates.
Arriver à Syrte par la route côtière en venant de l’ouest, c’est découvrir un paysage de fin du monde: à gauche, la Méditerranée aux eaux calmes et aux plages abandonnées; à droite, des bâtiments éventrés, des squelettes de béton d’où dépassent des tiges de fer et ce, sur des centaines de mètres; au milieu, la route dont le bitume est recouvert de bris de verre, de morceaux de moellons explosés, de pierrailles de toutes sortes.
Syrte, l’ancien bastion kadhafiste, la ville qui a vu naître l’Union africaine, n’est plus. Seules preuves de vie: les sifflements des balles de snipers et les 4x4 siglés Al-Bunyan al-Marsous déboulant à toute allure. Quasiment à la sortie est de la ville, les véhicules tournent brusquement à droite pour s’engouffrer dans la rue de Cordoue. Là, en lieu et place de la douceur de vivre andalouse, les passagers sont accueillis par deux tanks. Derrière ces protections d’acier, neuf matelas sont installés à même le sol à l’ombre de ce qui devait ressembler à une maison plutôt cosy. «Les ordres sont de tenir la position et de ne pas faire de grande avancée, raconte Mouftah Salem, le chef de la brigade Al-Marsa. La priorité, c’est la sécurité. L’ennemi n’est pas nombreux mais ses snipers et ses voitures piégées font beaucoup de dégâts.
Chaque mètre repris à l’Etat islamique s’accompagne des mêmes mesures fastidieuses: se mettre hors de portée des tireurs d’élite, neutraliser les éventuelles mines, s’assurer que les murs du bâtiment repris ne cachent pas une ouverture sur l’immeuble mitoyen qui permettrait une attaque surprise des djihadistes. Au front, la concentration exigée est telle qu’après quarante-huit heures, les combattants se voient octroyer une journée de repos à l’arrière.
Prêts à mourir, les derniers soldats de l’Etat islamique utilisent à plein les techniques de guérilla urbaine: les snipers se déplacent sans arrêt, si bien qu’après leur journée de repos, les hommes d’Al-Bunyan al-Marsous ont besoin d’être briefés sur les nouvelles rues à éviter. Officiellement, le quartier «Dollars», – surnommé ainsi car il était apprécié des riches Syrtois –, est aux mains des forces pro-gouvernementales. Sur le terrain, la zone est si exposée que le drapeau noir flotte toujours dans la cour de justice et les voitures qui s’y aventurent le font à toute vitesse pour éviter les balles qui fusent implacablement.
Dilemme face aux civils
Les combattants, des adolescents ou de très jeunes hommes, connaissent tous un frère d’arme aujourd’hui amputé ou passablement défiguré. Une perspective qu’ils redoutent plus que la mort: «J’espère que si un sniper me vise, il ne me ratera pas», admet l’un d’eux. Aussi, ils souhaitent mettre un terme au plus vite à cette guerre mais comprennent la stratégie du pas à pas.
«Nous pourrions gagner rapidement si on engageait toutes nos forces, assure Moustapha Ibrahim, un conducteur de tank. Mais nous ne voulons pas de morts inutiles de notre côté et il y a des femmes et des enfants chez eux.» En effet, des femmes et des enfants de djihadistes sont toujours présents, posant des problèmes de stratégie. Ces femmes sont des civiles mais n’hésitent pas à se faire exploser pour tenter de briser le siège. «Si nous ne les maîtrisons pas, nous perdons des hommes; si nous les tuons, nous pouvons être considérés comme des criminels», résume Ibrahim Baïtimal, chef du conseil militaire de Misrata.
En cette période d’Aïd el-Kébir, la fête du sacrifice, une route a été ouverte pendant quarante-huit heures pour laisser partir ces familles. «Une seule famille est partie jusqu’ici», annonce le chef de brigade Mouftah Salem. A Misrata, l’hôpital a été vidé des derniers blessés, envoyés essentiellement en Tunisie: «On s’attend à une nouvelle offensive après mardi, à la fin de l’Aïd», glisse un infirmier.
L’ennemi n’est pas nombreux, mais ses snipers et ses voitures piégées font beaucoup de dégâts