Malaise scolaire autour des élèves fragiles
Alors qu’Anne-Catherine Lyon présentera cette semaine le premier bilan de la loi scolaire mise en oeuvre sous sa responsabilité, un malaise croissant remonte du terrain sur le sort des enfants les plus fragiles
Portée par Anne-Catherine Lyon, la nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire est vivement critiquée dans les milieux scolaires. Pour nombre d’enseignants, cette loi a des effets clairement négatifs sur les élèves les plus fragiles. Ce que conteste la ministre socialiste. Témoignages sur un profond malaise scolaire.
«Notre frustration est grande car nous n’arrivons plus à aider les élèves qui en auraient le plus besoin.» Pour Michel*, un enseignant expérimenté de l’agglomération lausannoise, la nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) a des effets clairement négatifs pour les élèves les plus faibles.
La conseillère d’Etat Anne-Catherine Lyon présentera mercredi un premier bilan de l’organisation scolaire mise en place sous sa responsabilité. Acceptée en 2011 par 52% des Vaudois, la LEO pèse lourd dans le bilan politique de la ministre socialiste, qui espère que son parti l’autorisera à la fin du mois à briguer un quatrième mandat à la tête de son département. Alors que l’évaluation officielle de la LEO est attendue avec impatience, un malaise croissant remonte du terrain, selon les témoignages recueillis par Le Temps.
Organisée auparavant en trois filières, l’école vaudoise n’en a plus que deux à partir de la 9e année: la voie générale (VG) et la voie prégymnasiale (VP). Le nouveau système vise une plus grande perméabilité entre ses voies, tandis que des niveaux 1 et 2 sont organisés en VG pour le français, les maths et l’allemand. Mais la mise en oeuvre de cette organisation se révèle d’une redoutable complexité, avec des répercussions défavorables pour toute une partie de la population scolaire.
Les élèves qui auraient fréquenté autrefois la voie secondaire à options (VSO), sous la responsabilité de leur maître de classe durant les deux tiers du temps, suivent désormais un horaire individualisé, parfois sur plusieurs sites, enchaînant les changements de salle, de groupe et d’enseignant, toutes les 45 minutes, selon une configuration susceptible de changer à chaque semestre. «Il nous faut une bonne semaine pour leur apprendre où aller, à telle heure et avec quel matériel», explique un enseignant. Le conseil de classe, qui réunit les enseignants, compte une bonne vingtaine de participants.
Une telle mobilité, habituelle au secondaire supérieur, passe pour perturber nombre d’élèves plus jeunes, ceux qui ont besoin d’être cadrés et rassurés. Sans parler de la dissipation et de l’indiscipline liées aux déplacements.
Les bons éléments de l’ancienne VSO profitent du nouveau système des niveaux, estime Antoine, un enseignant semi-généraliste de l’Est vaudois. «Mais le problème est sérieux pour 20 à 25% de mes élèves», précise-t-il, qu’ils soient lents, allophones ou freinés par d’autres difficultés. Ils doivent vivre avec une étiquette guère plus valorisante que celle de l’ancienne voie.
Ceux qui décrochent
Ce sont les «111», ceux qui fréquentent le niveau inférieur pour les trois principales disciplines: «Ils sont confrontés à des objectifs perçus comme inatteignables, on sent qu’ils décrochent, tous les collègues le disent. Ils se démotivent vite, avant de se laisser aller complètement. Ils dérangent les cours ou font les passifs au fond de la classe, rendent une feuille blanche aux examens.»
Antoine n’a sa classe au complet face à lui que deux seules périodes par semaine. Il y a des choses qu’on ne peut plus faire, regrette-t-il, tenir un journal de classe, monter un petit spectacle. Les élèves faibles se retrouvent dans des classes plus nombreuses (20 environ aujourd’hui, pour 15 auparavant). A cela s’ajoute que l’on intègre dans les classes ordinaires un plus grand nombre d’élèves ayant des difficultés particulières. «Dans ma classe, dix élèves sur vingt souffrent de dyslexie ou de troubles de l’attention», note un enseignant.
«La complexité du système le rend rigide et les contraintes administratives l’emportent toujours sur la qualité de l’enseignement», dénonce un maître en colère. «La LEO résulte certes d’un compromis politique, mais en privilégiant le compromis sans en avoir mesuré les conséquences, les autorités cantonales, ministre en tête, ont mené le système dans l’impasse», va jusqu’à dire un cadre de l’école vaudoise.
Tout en voulant laisser sa chance à la loi et s’exprimant officiellement en termes bien plus modérés, les syndicats de la branche s’inquiètent aussi de voir plus d’élèves «rester sur le bord de la route.»
A ce stade, le constat se base plus sur un ressenti que sur des chiffres. On sait tout de même que le taux d’obtention du certificat, à la fin de la première volée entièrement issue de la LEO, est de 86%. C’est plus bas que les taux enregistrés préalablement en VSO (89,9%) et en VSG (92,5%).
Doutes sur un certificat
Alors que l’ancienne voie générale menait avec succès aux apprentissages, un enseignant lausannois s’interroge sur l’image du certificat scolaire de la nouvelle VG auprès des employeurs. Les refus auxquels certains de ses élèves se sont heurtés l’inquiètent.
«L’encadrement des élèves les plus faibles est une vraie préoccupation pour nous, affirme aussi Marie-Pierre van Mullem, coprésidente de l’Association vaudoise des parents d’élèves (APE). Le savoir-faire que nous tenions pour acquis dans l’ancien système est remis en question.» L’APE ne souhaite pas revenir à la logique de classe à l’ancienne, celle des parcours individualisés dont se réclame la LEO lui paraissant plus intéressante. Elle préconise l’institution du maître référent, dont chaque élève serait doté pour des entretiens réguliers. Mais une chose est sûre: «Il y a un écart entre l’idéal de la loi, mettre chaque enfant en état de progression permanente, et la réalité.»
«Les contraintes administratives l’emportent toujours sur la qualité de l’enseignement» UN ENSEIGNANT