Accord américano-russe pour une trêve en Syrie
Le texte prévoit un cessez-lefeu dès ce lundi, et une coopération militaire si l’arrêt des combats perdure
Ce compromis fut laborieux et rien ne dit, même s’il est respecté les premiers jours pour les fêtes de l’Aïd qui débutent ce lundi, qu’il pourra tenir plus de quelques semaines et permettre de relancer le processus de paix en Syrie. Après une dizaine d’heures de négociations à l’arraché, le secrétaire d’Etat américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov ont réussi à conclure un accord dans la nuit du vendredi à samedi 10 à Genève, qu’ils présentent comme «majeur», discuté dans une demi-douzaine de rencontres depuis mi-juillet et le voyage du chef de la diplomatie américaine à Moscou.
Le texte prévoit notamment une trêve nationale à compter d’aujourd’hui et, si cet arrêt des combats tient pendant sept jours, des corridors sûrs pour les opérations humanitaires ainsi que des actions coordonnées contre des groupes islamistes au travers d’un «centre de commandement commun», consacré notamment au partage d’informations permettant de délimiter les territoires de l’exFront Al-Nosra et ceux de l’opposition.
«Nous appelons tous les acteurs syriens à soutenir le plan auxquels sont parvenus les Etats-Unis et la Rus- sie, pour […] mettre un terme le plus vite possible à ce conflit catastrophique par un processus politique», a lancé John Kerry. Son homologue russe a déclaré qu’en dépit d’une méfiance persistante, les deux camps ont mis au point cinq documents permettant un combat coordonné contre le terrorisme et une reprise de la trêve de février sous une forme améliorée. Ces textes, d’un commun accord, resteront confidentiels. «Cela crée les conditions nécessaires pour la reprise du processus politique qui est à l’arrêt depuis longtemps», a précisé Sergueï Lavrov, tout en reconnaissant qu’il n’est pas en mesure de garantir «à 100%» la réussite de ce nouveau plan.
Difficile, sans en connaître tous les détails, d’évaluer la teneur des engagements pris par les deux pays coparrains du processus de paix lancé à l’automne 2015, et soutenant des camps adverses dans le conflit. Il y a notamment la question cruciale du mécanisme de contrôle de l’arrêt des combats. «Le risque est que cet accord reste seulement sur le papier», mettait en garde Paris avant même la conclusion des discussions.
La «cessation des hostilités» entrée en vigueur le 27 février, qui avait permis le démarrage des discussions à Genève, n’avait pas tenu plus d’un mois. L’opposition réunie dans le Haut Conseil des négociations (HCN) avait décidé de quitter la table en dénonçant la poursuite du carnage: l’aviation du régime avait en effet continué ses bombardements sur les civils des zones rebelles et les Russes leurs frappes contre toutes les formations de l’opposition, y compris celles soutenues par les Occidentaux et les capitales arabes.
«Le gouvernement Obama, les EtatsUnis, font un pas en avant car nous pensons que la Russie et mon collègue [Sergueï Lavrov] ont la capacité de faire pression sur le régime d’Assad pour mettre fin au conflit et venir à la table des négociations pour faire la paix», veut croire John Kerry, précisant que le «fondement» de l’accord résidait dans la promesse du régime de s’abstenir de frappes aériennes sur les zones rebelles, même sous le prétexte de viser les djihadistes de l’ancien Front Al-Nosra. «Cela devrait mettre fin aux bombes barils, fin aux bombardements sans discernement, et cela peut potentiellement changer la nature du conflit», espère le chef de la diplomatie américaine, qui invite les combattants de l’opposition modérée à se séparer des groupes djihadistes, faute de quoi ils pourront être la cible de frappes ultérieures.
De nombreux doutes demeurent, alors que Paris et la plupart des pays du groupe dit des «affinitaires» – Etats occidentaux, dont les Etats-Unis, et capitales arabo-musulmanes engagées dès le début dans le soutien à la révolution syrienne –, qui étaient réulutte nis à Londres le 7 septembre, insistent sur la nécessité d’un «accord robuste».
Washington et Moscou voulaient vite des résultats. L’administration Obama, dont le bilan sur la Syrie s’avère modeste, voulait pouvoir brandir ce plan à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, qui commence le 20 septembre. Et le Kremlin a retrouvé un rôle majeur au MoyenOrient, point focal pour un retour en grand de la Russie sur la scène internationale. Le pays redevient ainsi, comme avant l’effondrement de l’URSS, l’interlocuteur direct des Etats-Unis. Vladimir Poutine semble néanmoins conscient des risques de s’enliser dans le conflit.
Mais s’il cherche une sortie de crise, il n’a pas la même urgence que Barack Obama. D’où le caractère déséquilibré de ces négociations. «La Russie assume pleinement son rôle de belligérant soutenant militairement le régime contre tous ses opposants, alors que les Etats-Unis veulent être des médiateurs centrant tout sur la contre l’organisation Etat islamique et Al-Qaida», souligne un diplomate occidental. Pour Washington, en outre, le dossier crucial est celui de l’Irak plus que la Syrie. Et nombre de capitales, comme l’opposition syrienne, s’irritent d’une certaine ingénuité de John Kerry, trop souvent enclin à accepter des compromis bancals. «On n’arrive pas à une négociation en disant: «Je veux un accord à tout prix», même si on le pense», soupire un diplomate français. Un point de vue que partagent nombre de diplomates du Département d’Etat, agacés de ces incessants face-à-face avec Sergueï Lavrov qui, jusqu’ici, n’avaient donné aucun résultat.
S’ils saluent l’accord, avec ses inconnues, tous restent prudents, à commencer par l’envoyé spécial de l’ONU, Staffan de Mistura, qui espère que «la volonté politique qui a mené à cet accord sera durable». Même s’il tient, le plus dur commence: relancer à Genève les négociations de paix alors même que Moscou tient à garantir la survie du régime, et, faute d’alternative crédible au maintien de Bachar el-Assad au pouvoir, que l’opposition exige son départ immédiat et que les Occidentaux continuent de rappeler «qu’il ne peut en aucun cas incarner l’avenir de la Syrie», même s’ils sont désormais résignés à ce qu’il reste en fonction au début du processus.
Nombre de capitales, comme l’opposition, s’irritent d’une certaine ingénuité de John Kerry